entretien

Florence Loewy, la libraire des artistes

L'ŒIL

Le 1 juillet 2002 - 822 mots

Qu’est-ce-donc qu’une libraire de livres d’artistes ? pourrait-on demander, parodiant la question d’Anne Mœglin-Delcroix, auteur réputée sur le sujet, « Qu’est-ce donc qu’un livre d’artiste ? » Entre livre et œuvre d’art, résolument contemporaine, Florence Lœwy a choisi cette voie avec conviction et lucidité.

Comment devient-on une « libraire de livres d’artistes » ?
C’est vrai, je suis une des rares libraires à montrer ce genre de livres, mais je ne veux pas me limiter exclusivement à cela, je vends aussi des catalogues épuisés, des éditions d’artistes, multiples, ephemera, documents sonores, vidéos. J’ai travaillé de 1980 à 1983 avec mon père, Alexandre Lœwy, qui était libraire à Paris, rue de Seine depuis les années 30, spécialisé dans les livres de peintres illustrés de la première moitié du XXe siècle. C’est à la faveur d’un stage à New York à la librairie Printed Matter que j’ai pris conscience qu’il existait d’autres livres, plus en phase avec ma génération, et que je ne voulais pas être antiquaire du livre... J’ai fait connaissance avec les artistes minimaux, conceptuels, le Land Art... En 1989, j’ai ouvert une librairie avenue René Coty où j’ai travaillé 10 ans sur rendez-vous privés et, en octobre 2001, je me suis installée ici, dans le Marais.

Au gré de ce parcours d’une vingtaine d’années, votre définition du livre d’artiste a-t-elle évolué ?
Il y a vingt ans, je ne connaissais même pas le terme de livre d’artiste ! On parlait de livre illustré, ce qui était un peu péjoratif, ou de livre de peintre, en référence aux « grands » artistes ! Peu à peu on s’est orienté par rapport à la définition concoctée par Anne Mœglin-Delcroix. C’est une œuvre à part entière, qui demande à être lue autant que regardée. Là, je diffère un peu d’elle, il me semble que cela peut être le travail d’un plasticien seul, sans texte ou alors utilisé de manière plastique. Et puis, les livres d’artistes, comme ceux de Sol LeWitt ou Ed Ruscha, ne sont pas forcément des beaux livres, on est d’accord là-dessus.

Y a-t-il des livres d’artistes qui ont ponctué ce parcours de façon décisive ?
Oui, le Coup de dé de Broodthaers, qui reprend la disposition de Mallarmé, et, par la vertu de lignes noires, comme oblitérées et d’un mot ajouté « image », permet le passage à l’image, au rythme, au code visuel et donc aux arts plastiques.

Le livre d’artiste doit-il être un tirage unique ou multiple ?
C’est une question complètement subjective. Pour moi, le livre unique n’est pas un livre, la notion même de livre suppose quelque chose d’édité, de diffusé, sinon cela devient une sculpture. Dans les années d’utopie, le livre était devenu le moyen de diffusion de l’art par excellence et une manière d’échapper au marché, au système de la galerie, on en tirait en général 1 000 exemplaires. Les tirages limités n’attirent pas le même type de clientèle que ceux qui privilégient la rareté.

Justement, la clientèle du livre d’artiste, quelle est-elle ? Vient-elle pour le livre ou pour l’œuvre d’art ?
Curieusement, j’ai remarqué que mes efforts pour faire venir la clientèle bibliophile n’avaient pas abouti. Les amateurs de livres d’artistes sont des amateurs d’art contemporain, et avant tout des collectionneurs, pas des universitaires ou des chercheurs que le livre renseigne sur le travail de l’artiste. En même temps, ils peuvent être boulimiques : il leur faut tous les livres d’artistes de Boltanski, par exemple. Mais tout de même, beaucoup de nos clients sont des institutions, des centres de documentation de musées...

Quelle est l’ambition qui anime l’artiste qui réalise un livre ? Pourquoi ce choix ?
Je pense qu’ils ont tous des conceptions assez diverses par rapport à l’objet-livre, mais les idées de diffusion, d’accessibilité priment. Pour Boltanski, les livres sont des bouteilles à la mer, il les envoie à l’autre bout du monde, son travail circule beaucoup plus facilement, c’est autre chose que de monter une installation...

Finalement, peut-on évaluer quelles sont les composantes d’un coup de cœur de la libraire pour un livre d’artiste ?
Idéalement, le livre est un médium spécifique, il a un rythme bien particulier, on pourrait dire que Cover to cover de Michael Snow est un livre exemplaire, une sorte de narration photographique, une série d’image qui va de la couverture à la couverture. Ce n’est pas la même chose que d’appréhender une série de photos au mur, tourner les pages introduit une séquence. Après, il y a le choix du papier… Pendant longtemps, j’ai eu une réticence face au procédé de la photocopie, je trouvais cela trop « cheap », mais finalement il y a de très belles choses en photocopie.

Books by artists, 9, rue de Thorigny, 75003 Paris, tél. 01 44 78 98 45, fax 01 44 78 98 46, flo@florenceloewy.com, www.florenceloewy.com Ouvert du mardi au samedi de 14h à 19h. En juillet, une exposition sur l’œuvre de Marie-Ange Guilleminot se tient dans la galerie attenante à la librairie.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°538 du 1 juillet 2002, avec le titre suivant : Florence Loewy, la libraire des artistes

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