DVD

Un Kubrick sec et tendu

L'ŒIL

Le 1 juillet 2002 - 243 mots

Avec son bonus-alibi et sa qualité d’image un rien granuleuse, ce DVD de L’Ultime Razzia (The Killing) vaut surtout par l’adéquation du support avec la structure même du récit. Les possibilités combinatoires du « chapitrage » permettent en effet d’affiner notre appréhension d’un hold-up planifié à la seconde près, de ces quelques heures racontées plusieurs fois, selon l’emploi du temps de chacun des complices. La première vision invite le spectateur à reconstruire la chronologie ; dès la seconde, il peut démonter et remonter le film. L’émotion du suspense initial – le plan va-t-il réussir ? – investit ensuite une interrogation plus existentielle. Pourquoi le plan ne peut-il que réussir, mais seulement pour lui-même, sans profiter à ceux qui le servent. Tout se passe comme si deux ordinateurs de force égale disputaient une partie d’échecs. C’est une vision de la vie, ou plutôt sa partie aveugle : le monolithe noir d’une pensée humaniste soudain affolée par un accès de lucidité. Des procédés de récurrence (le premier plan du générique reviendra quatre fois), les violents clairs-obscurs, la disposition radicale des sources lumineuses (fenêtres à contre-jour, lampes aux abat-jour tronqués), les attaques de plan sans cesse neuves mais immédiatement lisibles offrent un maillage visuel aussi serré que le script est rigoureux à épuiser, via les rapports des protagonistes avec leurs fiancées et épouses, toutes les (im)possibilités de l’amour. Noir constat, et formidable capacité de Kubrick, âgé d’un peu plus de 25 ans, à s’affirmer en créateur-démiurge.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°538 du 1 juillet 2002, avec le titre suivant : Un Kubrick sec et tendu

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