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Puvis de Chavannes réhabilité ?

L'ŒIL

Le 1 mars 2002 - 548 mots

La fortune critique du peintre Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898) risque fort de connaître une plus-value après l’exposition que lui consacre Serge Lemoine, le nouveau directeur du Musée d’Orsay. L’événement, qui regroupe 220 tableaux et sculptures, tente de circonscrire la façon dont l’auteur des fresques intemporelles du Panthéon a été perçu à son époque et sa postérité auprès des générations suivantes. En effet, selon le commissaire de l’exposition, il semble que l’importance du maître lyonnais ait quelque peu été occultée dans l’élaboration de l’histoire de l’art moderne. Comment expliquer en effet le « passage de Monet au cubisme par l’intermédiaire de Cézanne ou encore du cubisme à l’abstraction, quand l’art de Mondrian et de Malevitch, pour ne pas parler de Kandinsky et Kupka, recèle tant d’implications spiritualistes ». De même, rajoute-t-il, les œuvres de Toulouse-Lautrec, Steinlen, voire de Gauguin, ne sauraient suffire à expliquer la création de Picasso
à son époque bleue et rose. Que penser aussi de ses périodes dites « néoclassique » ou
« ingresque » ?Autant d’interrogations qui ont poussé Serge Lemoine à reconsidérer l’œuvre de Puvis de Chavannes.
Issu de la famille classique qui descend de Poussin et regroupe les néoclassiques, les ingresques, l’artiste s’imprègne lors de ses voyages en Italie de la leçon picturale du Trecento florentin. De cette observation naît un langage neuf qui s’exprime par des thèmes simples et des compositions épurées. Les fresques de Chassériau à la Cour des Comptes l’orientent vers l’art décoratif mural. Puvis souhaite dès lors obtenir un accord parfait entre la planéité du mur et ses compositions picturales. Couleurs abattues, suppression du modelé, traitement plastique proche de la détrempe conduisent à un dépouillement déjà moderne. Dès 1865, il apporte un art de l’idéalisation, une stylisation qui annonce l’abstraction. Dans Le Bois sacré cher aux Arts et aux Muses par exemple, le fond est constitué de bandes parallèles de terre, de mer et de ciel, bien avant Cézanne, alors que ses personnages, dénués d’expression s’apparentent plus à des types. Si de nos jours Puvis de Chavannes est méconnu, le XIXe siècle lui fait un pont d’or ; il est un modèle universel pour tous les artistes qui ne se reconnaissent pas dans l’impressionnisme. Seurat, Gauguin, ne peuvent se situer que par rapport à lui et reprennent certains détails de ses compositions. Dans sa correspondance, Van Gogh confie : « C’est notre maître ». Même influence sur les symbolistes européens, de Munch à Hodler, et les nabis (Bonnard, Denis, Vuillard). A l’époque, on vient à Paris pour voir sa peinture et son influence est comparable à celle de David près d’un siècle plus tôt. Sa popularité est telle que pour ses 70 ans, Rodin organise un banquet réunissant 550 convives durant lequel Verlaine et Mallarmé lui remettent un recueil de poèmes. Alors comment expliquer qu’une figure aussi reconnue ait sombré dans l’oubli ? Selon Serge Lemoine, c’est le triomphe de l’impressionnisme auprès du public et des collectionneurs qui a voué aux gémonies sa peinture jugée trop savante. La deuxième raison concernerait les dimensions de ses œuvres. L’ambition du peintre de ne faire que des toiles monumentales aurait freiné la circulation de ses œuvres et donc leur commerce.

- VENISE, Palazzo Grassi, San Samuele 3231, tél. 041 523 1680, 10 février-16 juin, cat. éd. Flammarion, 576 p., 80 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°534 du 1 mars 2002, avec le titre suivant : Puvis de Chavannes réhabilité ?

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