Odile Decq & Benoît Cornette Plissé twisté à l’Unesco

L'ŒIL

Le 1 mars 2002 - 1373 mots

Fidèle à sa mission de grand commanditaire culturel, l’Unesco a décidé pour son entrée dans le IIIe millénaire de rénover son hall des conférences. Parmi une sélection de designers et d’architectes internationaux, c’est le projet de l’agence Odile Decq & Benoît Cornette qui a été retenu pour concevoir le mobilier et l’aménagement intérieur de cette prestigieuse institution.

Il n’est plus besoin de rappeler les nobles missions accomplies par l’Unesco (organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture) depuis sa création. Son architecture, conçue par Marcel Breuer, Bernard Zehrfuss et l’ingénieur Pier Luigi Nervi à la fin des années 50, en fait un geste symbolique fort, une véritable icône de la modernité. Moins connue mais toute aussi symbolique, la collection d’œuvres d’art sillonne les bâtiments et le jardin. Parmi elles : Stabile d’Alexandre Calder, une fresque de Pablo Picasso, une céramique murale de Juan Mirò, une tapisserie de Le Corbusier et, tout récemment, Espace de méditation, la construction de l’architecte japonais Tadao Ando réalisée pour la commémoration du 50e anniversaire de cette institution. Fidèle à sa mission de grand commanditaire culturel, l’Unesco a décidé pour son entrée dans le IIIe millénaire de faire peau neuve en lançant un concours pour la rénovation de son hall des conférences, lieu prestigieux des grands rendez-vous internationaux. Ce projet s’inscrit dans un programme beaucoup plus vaste de remise en état des bâtiments dont la mission de conseil a été confiée à l’architecte français Joseph Belmont.
Le projet de l’Agence Odile Decq & Benoît Cornette a été choisi parmi une sélection de designers et d’architectes internationaux. C’est désormais une évidence : cette agence, lauréate du Lion d’Or à Venise en 1996 et du prix DuPont Benedictus en 1999, a imposé la particularité de son langage dans le paysage de l’architecture contemporaine. Pourquoi ce choix du métier d’architecte pour la réalisation du mobilier et de l’aménagement intérieur du hall des conférences ? Il s’agit d’abord de redonner une place à l’« architecte-designer » et à son attitude de synthèse qui passe aisément du contenant immobilier au contenu mobilier. Le Corbusier, Jean Prouvé et Alvar Aalto en ont incarné les plus illustres figures. Un tel choix permet ensuite de jouer la confrontation pertinente des langages et des époques. Aux attitudes non-conformistes en leur temps de Breuer, Zehrfuss, et Nervi, il fallait une réponse contemporaine à leur mesure. C’est dans ce cadre qu’il faut appréhender la démarche de l’agence Odile Decq & Benoît Cornette pour le projet de rénovation du hall. Plutôt que d’imposer une signature à l’endroit même où d’autres avaient déjà apposé la leur, privilégier la perméabilité du contexte existant sur la part de création. C’est donc sur le mode de la « citation » et du « renvoi » que se sont orientées les productions de cette agence.

Rubans plissés
et diagonales dynamiques
Le programme de rénovation comprenait différents types d’objets : banque d’accueil, fauteuils, cendriers, corbeilles à papier, meubles courriers, cabines téléphoniques, tables, totems signalétiques, panneaux d’exposition, ainsi qu’une intervention en qualité de conseil pour le changement du dispositif d’éclairage. La banque d’accueil est l’objet de départ qui permet de mieux comprendre les intentions de ce projet. Sa forme de ruban tordu et plié combine un mouvement ondulatoire, c’est-à-dire organique, avec un ensemble de lignes hardies qui donnent le sentiment de « freiner » la fluidité du dessin d’ensemble et de faire écho à l’harmonieuse contradiction que nous offre la structure en béton « plissé » de P. L. Nervi. Cette dynamique de l’espace engendrée par le mouvement des lignes est également au centre du concept d’« Hyper-Tension » développé dans les projets d’architecture de l’agence Odile Decq & Benoît Cornette. Issus de tout ce que l’industrie d’aujourd’hui peut mettre à disposition, les matériaux utilisés pour cet objet, polyester moulé, opaque et translucide, aluminium micro billé, répondent aux innovations des matières plastiques du début des années 60. La couleur orange caramélisée, emblématique de l’époque triomphale des plastiques, a été choisie avec soin dans la gamme colorée des œuvres avoisinantes : La Chute d’Icare de Picasso et la tapisserie de Le Corbusier. Les assises au ton violet franc, dont les réalisations ont été confiées à la société Domeau & Pérès, déclinent le principe du ruban dans une nouvelle dynamique des formes. Le terme de « ruban twisté » dont parle Odile Decq trouve sa plus juste référence historique dans le fauteuil Ribbon chair (1968) que son concepteur Pierre Paulin considérait comme une « sculpture aux allures de ruban plié, on pince pour faire le socle, on courbe pour obtenir le dossier ». Les contemporains de Paulin (Olivier Mourgue, Gaetano Pesce, Verner Panton) ont eux aussi adopté les courbes, vagues et ondulations. Autant de termes qui marqueront à cette époque le triomphe d’une approche anthropomorphique de la forme. Pour l’Unesco, chaque élément, fauteuil, chauffeuse, méridienne et confident, peut fonctionner individuellement ou en assemblages aux combinaisons variables. On s’éloigne ici de la notion de l’objet « enveloppe » pour rejoindre celle d’un design « environnement » où la forme prend en compte l’espace comme matière et non comme vide et devient une expérience spatiale pour le corps. Le Malitte seating system (1966) de Roberto Sebastian Matta et le Bottom (1969) de Verner Panton en sont d’emblématiques exemples. Les tables, du même orange que la banque d’accueil, reprennent à leur tour les lignes du « ruban twisté » dont on ne perçoit l’intention qu’en observant les profils. Ceux-ci, aux diagonales dynamiques formées en triangles, contrastent avec la surface lisse du plateau et ne manquent pas de citer les lignes aérodynamiques des tables et des chaises de Jean Prouvé. Les pieds en aluminium, effilés à leurs bases et obliques, en font un objet léger et aérien. « Une chaise ou une table reposant sur des pieds rectilignes donnent une impression de passivité imperturbable. Inversement, la ligne oblique suggère l’activité », selon Jean Prouvé. Les corbeilles à papier et les cendriers en aluminium sont inscrits dans la catégorie des « plissé twisté » et font explicitement référence à la complexité des surfaces ondulées de béton présentes dans le hall des conférences. Suivant les consignes de l’agence Odile Decq & Benoît Cornette, le modèle des cabines téléphoniques conserve leur forme d’origine de bulle « spoutnik ». Néanmoins, la mise en place d’un éclairage intérieur apporte le confort visuel qui manquait dans l’ancienne installation et le nouveau pied en verre feuilleté améliore son intégration sur le site. Pari tenu pour l’agence Odile Decq & Benoît Cornette qui a su établir une collusion entre les références à l’histoire du design et les contraintes du contexte pour que le passé soit contenu dans le présent. Mission de « relookage » accomplie pour l’Unesco qui conserve son identité historique tout en proposant une image pertinente de la création contemporaine. Les logiques de Marcel Breuer évoquant la place du mobilier dans l’architecture sont préservées : « On ne tombe pas, comme si souvent quand il s’agit de grands immeubles, dans la caisse où déposer les meubles, il ne s’agit pas seulement d’échelle humaine, que presque tous les bâtisseurs respectent, mais de spiritualité, soucieuse de l’intimité individuelle comme du contact social, non moins que d’un sens plastique, qui enlève à la fonction sa sécheresse, pour l’épanouir en poésie. » On rapporte que Marcel Breuer voyait d’instinct son architecture « habitée ». D’un tel regard, les réalisations de l’Agence Odile Decq & Benoît Cornette ont su donner toute la portée.

Guide pratique

- Le lieu : Le hall des conférences de l’Unesco, situé au rez-de-chaussée du bâtiment, est accessible au public, sur présentation d’une pièce d’identité et sauf événement officiel au planning de l’institution. Unesco, 7, place de Fontenoy, 75007 Paris, tél. 01 45 68 10 10. - A voir : La boutique du couturier taiwanais Schiatzy Chen, 262, rue Saint-Honoré à Paris, réalisée en 2000. En cours de réalisation : Un immeuble de bureaux à Dunkerque pour la société Usinor-Sollac, ouverture prévue courant 2002. L’extension et la réhabilitation de la Galerie communale d’Art moderne et contemporain à Rome, logée dans l’ancienne fabrique Peroni, via Reggio Emilia, et qui devrait voir le jour en 2005. Une série de poignées de portes pour la firme Valli & Valli qui sera présentée aux professionnels lors du Salon de Francfort, en mars 2002.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°534 du 1 mars 2002, avec le titre suivant : Odile Decq & Benoît Cornette Plissé twisté à l’Unesco

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque