l’œil de l’expert

L'ŒIL

Le 1 mars 2002 - 714 mots

Avec leurs records ou, parfois, leurs résultats décevants, les ventes aux enchères se suivent mais ne se ressemblent pas. Chaque mois, L’Œil commente les prix obtenus qui réservent parfois de singulières surprises.

3 086 000 $
L’année démarre en fanfare pour les tableaux anciens : record mondial et estimation pulvérisée (300 à 500 000 $) pour cette toile de Francesco Mola acquise par un collectionneur privé. Le tableau inconnu, dans un état de conservation miraculeux (des traces de doigts, peut-être ceux du peintre, sont inscrites dans la peinture fraîche), avait surgi lors d’une exposition à New York chez Corsini en 1984. Record mondial aussi dans la même vente pour un panneau de Met de Bles, Saint Paul sur le chemin de Damas, adjugé 732 000 $ à un marchand londonien. Dans les deux cas, fait remarquer Cécile Bernard du département parisien de Christie’s, il s’agissait d’œuvres rares, jamais retouchées ni mises sur le marché. Bref, de celles que l’on appelle en terme de métier des œuvres « vierges » et qui suscitent toutes les convoitises. En revanche, un Turner et un Canaletto sont restés au tapis en raison d’estimations gonflées : les vendeurs sont parfois trop gourmands.
Christie’s New York, 25 janvier 2002.

1 875 750 $
Les musées se disputent les portraits du baron Gérard. L’an dernier, la ravissante madame Tallien Notre Dame de Thermidor entrait à Carnavalet pour 979 500 euros (Bailleul et Nentas, 16 avril). Cette année, le Met a du doubler la mise, 1 875 750 $ pour permettre à une autre beauté, La Princesse de Talleyrand Périgord, de rejoindre au Met  son époux peint par Prudhon. La belle avait quitté Paris pour Londres à la Révolution. Emprisonnée pour espionnage à son retour, elle avait dû sa liberté à l’ancien évêque d’Autun devenu ministre de Napoléon. Elle l’avait ensuite épousé. Le tableau n’avait pas quitté la famille, jamais exposé, il n’était connu que d’un cercle d’initiés. Il était selon l’expression des Anglo-saxons « fresh to the market ». Le prix est conforme à l’estimation haute et c’est un record pour l’artiste. Selon Pascale Pavageau, en charge du département à Paris, les grands portraits de l’artiste de cette qualité en mains privées sont rares.
Sotheby’s New York, 24 janvier 2002.

25 476 euros
Trois records mondiaux dont celui-ci, pour des photographies de Francis Frith, cancre à l’école (il la quitte à dix ans) mais génie de la photographie. Ces enchères démontrent que le marché français fait largement aussi bien que les places anglo-saxonnes. Ces tirages « mammouth » (grand format) albuminés d’après négatif verre au collodion de 1858, des vues d’Egypte, avaient été réunis avant la guerre par un collectionneur habitant le pays. A l’époque, assure l’expert Pierre Marc Richard, elles ne valaient pas grand chose. Il y a une vingtaine d’années, les photos de ce grossiste en épicerie, devenu membre fondateur de la RoyaI Photographic Society, étaient encore relativement abondantes dans les ventes londoniennes, elles se font plus rares aujourd’hui. Elles subissent, du fait de leur grande taille, les outrages du temps. Cette fois, les exemplaires présentés, restés à l’abri de la lumière, étaient en parfaite condition. Résultat ? professionnels et particuliers se sont déchaînés. Avantage aux marchands américains qui ont raflé la mise.
Etude Beaussant-Lefèvre, Hôtel Drouot, Paris, 25 janvier.

38 770 euros
Céline est toujours à l’affiche en 2002. Cette fois on dispersait 35 lettres adressées par l’écrivain à son ami le peintre graveur Daragnès entre 1948 et 1950. Toujours aussi truculent et jubilant. Céline est réfugié à Klarskovgaard chez son avocat danois traité au passage de « bobignol ». Il éprouve toutes les difficultés à se faire éditer en raison de  l’hostilité de la directrice des éditions Denoël. « Cette pétasse, dit-il, m’étrangle. Donc finish, l’édition en France ». Ce qu’il pense de l’écriture ? Ce n’est pas triste : « j’ai toujours trouvé écrire ridicule, grotesque... Que c’est vaniteux et dégoûtant ! J’ai peut-être un petit don mais sûrement pas la vocation... Shakespeare prétend que nous sommes faits de la même étoffe que nos rêves. Les miens n’étaient sûrement pas d’écrire des rooomaaans ! Trucs de gonzesses ! Enfin, c’est le pain ». Ces missives conservées par un proche de l’auteur de Mort à Crédit, sont tombées dans l’escarcelle du libraire Claude Vrain.
Etude Farrando-Lemoine, Hôtel Drouot, Paris, 18 janvier. 

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°534 du 1 mars 2002, avec le titre suivant : l’œil de l’expert

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