galeries

André Sornay : le moderniste lyonnais

Par Marie Maertens · L'ŒIL

Le 1 novembre 2002 - 726 mots

Rigueur, éloge de la ligne, angles nets, absence de décor, matériaux luxueux et finitions impeccables : telles pourraient être les caractéristiques des meubles de celui que la presse lyonnaise de l’époque qualifiait tour à tour de roi ou de soviétique. Car André Sornay, dont il s’agit de la première rétrospective en France, fut incontestablement l’ébéniste le plus aventureux des années 1920 à 50 de la région, notamment si on le compare à ses compatriotes Francisque Chaleyssin et Christian Krass, qui demeurèrent davantage dans un style Art Déco plus classique.
Dès ses débuts en 1919, date à laquelle il hérite de l’entreprise familiale, Sornay cesse immédiatement la production de meubles de style pour imaginer un mobilier épuré en adéquation aux besoins de son époque. Il admire particulièrement les travaux de Francis Jourdain et de Pierre Chareau. Du premier, il conservera la recherche de la simplification, un dessin minimaliste et peut-être aussi cette célèbre phrase selon laquelle « on peut aménager très luxueusement une pièce en la démeublant plutôt qu’en la meublant ». Du second, son esthétique et sa conception du meuble. Comme Chareau, Sornay représente ce que l’on pourrait appeler un moderniste à la française, privilégiant le fonctionnel, utilisant les lignes rectilignes et constructivistes du Bauhaus et de De Stijl, tout en conservant des finitions artisanales et un emploi très national de revêtements coûteux. En 1923, il expose au Salon d’Automne de Lyon une chambre à coucher où aucune fioriture ne vient troubler l’épure des lignes. Davantage inspiré par l’architecture que par la décoration, Sornay est l’ami de Louis Weckerlin – l’un des futurs constructeurs de la ville de Lyon – et de Tony Garnier. Il s’apparente au parti ingénieur-constructeur, opposé à celui des coloristes-décorateurs. Il pense volume, espace modulable et soumet le mobilier à une volonté d’ensemble, en l’adaptant à une fonction précise. La forme doit suivre la fonction de l’objet et la beauté de celui-ci réside dans sa parfaite adéquation à son usage. Sornay répond ainsi aux dogmes de ceux qui allaient fonder l’UAM (Union des Artistes Modernes) parmi lesquels Mallet Stevens, Le Corbusier, Charlotte Perriand... Pensant également que l’homme doit pouvoir modifier son cadre de vie, Sornay sera, à l’instar de Chareau, un grand utilisateur des meubles à combinaisons multiples. Une chaise se transforme en fauteuil, une longue console devient une table de salle à manger, la lampe d’un bureau est exhibée uniquement quand son utilisateur en éprouve le besoin et une table s’agrémente d’un caisson cachant une étagère. Visuellement, l’ensemble se décline jusqu’en 1933 dans des constructions rigoureuses, presque massives, où les plateaux des tables sont épais, mais dont l’élégance réside dans une combinaison de formes géométriques récurrentes et symétriques. Les œuvres postérieures se déploient dans un registre plus varié où les volumes s’affinent. Quant à l’emploi des matériaux, Sornay reste plus traditionaliste que les fonctionnalistes. Il aime les placages précieux et exotiques : le palissandre de Rio ou des Indes, la loupe de thuya, le citronnier, le noyer, l’acajou, l’ébène de macassar et surtout le pin d’Oregon dont il apprécie particulièrement l’essence veinée qu’il brosse pour en accentuer les effets avant de le teindre et de créer un contraste très affirmé. Cet effet, tout en atténuant la rigueur rectiligne des meubles, les rapproche de ceux de Pierre Legrain ou d’Eileen Gray. Pourtant, le contexte économique de l’après krach de 1929 pousse Sornay à réduire ses coûts de production. Il dépose en 1933 le brevet pour le « système de panneaux de meubles et son mode d’assemblage » ou cloutage de laiton apparent. Un système qui lui permet d’introduire des éléments standardisés et de réaliser plus rapidement des panneaux aussi rigides et aussi stables que ceux en contreplaqué. Ce jeu de construction est l’ancêtre du mobilier en kit. Quant aux clous apparents, ils permettent de reconnaître immédiatement la paternité de son mobilier. Parmi les autres innovations de l’ébéniste, citons le Permatex, un tissu plastifié imperméable qui remplace le laqué d’autrefois et dont il a habillé certains de ses meubles et la « tigette Sornay », conçue en 1950 pour fixer des éléments de mobilier. Cet homme, qui voulait évacuer la notion même de style, en a malgré lui créé un, dont la reconnaissance s’affirme d’années en années.

- PARIS, galeries Michel Giraud et Jacques de Vos, 7, rue Bonaparte et 35, rue de Seine, tél. 01 43 29 88 94, 7 novembre-21 décembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°541 du 1 novembre 2002, avec le titre suivant : André Sornay : le moderniste lyonnais

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque