Les métamorphoses du Musée Matisse

L'ŒIL

Le 1 novembre 2002 - 940 mots

Constituées à l’origine de 82 œuvres offertes par Henri Matisse puis enrichies par le don d’un ensemble d’œuvres d’Auguste Herbin, les collections du musée du Cateau-Cambrésis sont à redécouvrir. Après deux ans de rénovations, d’agrandissement et de nouvelles acquisitions, le musée rouvre ses portes au public ce mois-ci.

Mes concitoyens du Cateau, que j’ai quittés si vite pour aller où ma destinée m’a conduit, ont voulu honorer ma vie de travail par la création de ce musée. Je n’ai pas cru, malgré divers obstacles importants, pouvoir me dérober à cet honneur insigne. J’ai considéré cette chose comme la conséquence toute naturelle de ma vie, pendant laquelle j’ai été conduit, mais que je n’ai pas conduite... » Matisse envoie ce message aux habitants du Cateau afin qu’il soit lu le 8 novembre 1952, jour de l’inauguration du musée qu’il a voulu y créer. A l’époque, il est sollicité de toutes parts et a des expositions dans le monde entier. Mais c’est à la demande des habitants de cette petite ville de 10 000 habitants d’où sa famille est originaire et où il est né un 31 décembre 1869, qu’il répond favorablement.
Le maire, certains adjoints et des peintres amateurs du Cateau – juge de paix, pharmacien, dentiste, pâtissier – entraînés par Ernest Gaillard, l’architecte « conservateur » du Musée de Cambrai, avaient l’ambition de faire un musée en hommage à Matisse mais, – peut-être est-ce l’origine de la collection de ce musée – n’osent rien solliciter du peintre. Ils le rencontrent à Paris pour lui demander s’il accepte qu’une école du Cateau soit appelée « école Matisse » et pour lui parler du petit musée qu’ils constituent avec l’aide de dépôts de l’Etat d’œuvres d’artistes anciens élèves de Gustave Moreau. Un budget municipal a servi à acquérir trois lithographies de reproductions de tableaux du peintre, qu’ému Matisse accepte de dédicacer. C’est finalement 82 œuvres que le peintre donnera à sa ville natale pour constituer le seul Musée Matisse fait de son vivant. Le musée est installé dans le salon d’honneur de l’Hôtel de Ville et accroché selon ses plans. Il offrira pour l’école maternelle qui porte son nom l’un de ses rares et monumentaux vitraux Les abeilles.
La deuxième collection du musée est un don d’un des maîtres de l’abstraction en France, Auguste Herbin, qui passa sa jeunesse au Cateau. Après avoir visité le Musée Matisse, il décide d’offrir un ensemble de ses œuvres. En 1955, 24 peintures, dessins et sculptures sont accrochés sur les murs de la salle des mariages à la place des tableaux de facture très classique déposés par les musées nationaux qui sont relégués dans l’escalier d’accès. Fait rare en France, il faut noter que les habitants ont préféré des grandes peintures à abstraction rigoureuse conçues selon des rythmes géométriques à la peinture figurative qui s’y trouvait. Est-ce parce que la majorité de la population travaillait dans des usines textiles, en particulier l’usine Seydoux, et était habituée aux formes géométriques des tissus ?
En 1982, trente ans après sa création par Matisse, le musée est transféré dans un petit château du XVIIIe siècle rénové et aménagé en musée. Il s’agit de l’ancien palais des archevêques de Cambrai. Les descendants du peintre enrichissent considérablement la donation d’origine, si bien qu’on ouvre un nouveau musée avec une collection importante et que la municipalité du Cateau en développe la fonction culturelle. Le musée, trop important pour la ville du Cateau, est concédé au département du Nord qui le départementalise en 1992 pour en faire un établissement à la hauteur de ses collections. Une politique active d’expositions permet d’en faire un lieu de rencontres culturelles. Les collections s’enrichissent grâce à des achats et à des donations. En 1995, la programmation d’un nouveau musée est achevée. Les architectes nancéens Laurent et Emmanuelle Beaudouin gagnent le concours de rénovation et d’agrandissement. Les travaux commencent en 2000 pour s’achever deux ans plus tard.
Un évènement majeur marqua la période de rénovation. Alice Tériade, épouse du célèbre éditeur d’art offrait au musée l’ensemble de l’œuvre éditoriale réalisée par Tériade avec les plus grands artistes de la première moitié du XXe siècle, Bonnard, Chagall, Miró, Giacometti, Matisse, Picasso, Beaudin, Gris, Laurens, Léger, Villon, Rouault, Gromaire, Le Corbusier, et dans un deuxième temps les chefs-d’œuvre de la collection d’art moderne constituée par Tériade avec ses amis peintres, dont la célèbre salle à manger décorée par Matisse. Cet ensemble forme l’une des plus importantes donations faites aujourd’hui à un musée.
Le nouveau musée ne conserve de son origine que les murs extérieurs du petit château et pourtant, grâce aux nouvelles ailes contemporaines construites sur des rythmes de pierre et de brique, il a retrouvé son intégrité, la beauté de sa cour intérieure et l’équilibre de ses façades. Les salles pour les collections permanentes sont disposées selon deux principes. Les salles pour les collections Matisse sont ouvertes sur le très beau parc au Nord et bénéficient de la lumière du jour et de la relation intérieur-extérieur, les salles Herbin sont des volumes contemporains à l’éclairage zénithal. Le musée est entièrement baigné de lumière du jour très supportable dans le Nord de la France, à l’exception, bien entendu, des pièces conservant des dessins. Le musée, médiateur entre les artistes et le public, est devenu un espace de poésie pour la contemplation des chefs-d’œuvre qu’il contient.
« J’ai compris, écrit Matisse à ses concitoyens du Cateau, que tout le labeur acharné de ma vie était pour la grande famille humaine, à laquelle devait être révélée un peu de la fraîche beauté du monde par mon intermédiaire. »

- LE CATEAU-CAMBRESIS, Musée Matisse, Palais Fénelon, tél. 03 27 84 13 15, museematisse@cg59.fr.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°541 du 1 novembre 2002, avec le titre suivant : Les métamorphoses du Musée Matisse

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