portrait

Marion Sauvaire, au service du public

L'ŒIL

Le 1 septembre 2002 - 976 mots

Le bureau n’est pas immense et son agencement plutôt sobre, la bibliothèque n’a même pas été réinstallée depuis que le service a quitté l’avenue de l’Opéra pour poser ses dossiers dans cette rue proche. De toute façon, on n’aurait pas le loisir de laisser son regard errer sur le décor : Marion Sauvaire mène la conversation tambour battant et, au-dessus de ses mains voltigeant, ses yeux bleus semblent perpétuellement étonnés, se demandant sans doute si vraiment, elle peut s’accorder le temps de respirer. « Il y a tant à faire... », dit avec passion la responsable du bureau de soutien à la création, connu des professionnels sous le sigle F.I.A.C.R.E. et instauré par Jack Lang au cœur de la Délégation aux Arts plastiques (DAP). Soutenir, diffuser, rendre accessible et compréhensible au grand public l’art contemporain, la tâche est inépuisable, même dans le domaine plus spécifique de l’édition qui est l’objet de notre entretien. C’est une construction qui exige patience et rigueur, deux qualités dont Marion Sauvaire prévient qu’elles sont indispensables à l’acteur du service public et dont on sait en quelques minutes qu’elle les possède chevillées au corps.
Rien ne la prédestinait pourtant à entrer dans la Fonction publique. Des études de lettres tournées vers la linguistique, et, déjà, une maîtrise sur les liens entre l’espace et les signes chez Ezra Pound, donc un intérêt pour Michaux. Rien de professionnel du côté de l’art contemporain mais une forte inclination d’ordre privé. « J’ai vécu 10 ans avec un artiste. C’est formateur ». Au début des années 80, elle doit gagner sa vie. François Mathey lui propose de prendre en charge le comptoir de vente de l’art contemporain au Musée des Arts décoratifs, ce qu’elle fait pendant trois ans avant de rejoindre le premier délégué aux arts plastiques, Claude Mollard, pour s’occuper du hall d’information ouvert aux professionnels avenue de l’Opéra, premier germe du soutien à la jeune création. C’est l’époque de la fondation du Fiacre par Jack Lang. « Tout l’esprit du projet résidait déjà dans son intitulé : Fonds d’incitation à la création... L’Etat, dès le départ, a décidé d’accompagner les risques des professionnels, non de les assister. » Marion Sauvaire est appelée par Dominique Bozo pour prendre en main le secrétariat général de l’inspection de la création, et suivre les missions des 15 inspecteurs. « C’était un patron formidable, un grand serviteur de l’Etat, mu par une exigence et une rigueur exceptionnelles, et qui avait fait de la constitution d’un patrimoine contemporain et du soutien aux artistes ses priorités. Nous avons travaillé à l’ouverture de lieux comme la Villa Savoye de Le Corbusier ou la Tour aux Figures de Dubuffet, connus des architectes internationaux mais pas du public français. » Puis François Barré et Anne Tronche lui demandent de venir réformer le Fiacre. « Il fallait transformer la méthodologie et faire appel à des professionnels extérieurs pour siéger dans nos commissions. Et puis, une phrase de François Barré n’a cessé de guider mes pas : l’argent public doit retourner au public et former le public. » Partant de ce principe, l’action se dessine. Les aides à l’édition doivent se tourner vers l’édition privée indépendante, et non rester cantonnées aux éditeurs publics, parce que c’est le seul moyen de diffuser largement la parole de l’art contemporain. L’enjeu est de taille : diffuser l’art contemporain français non seulement en France mais aussi à l’étranger, tout en constituant un fonds théorique essentiel pour sa compréhension. La politique de co-édition, mise en place par Dominique Bozo en 1988 avec la collection « La Création contemporaine » chez Flammarion, adopte une allure plus soutenue. Les éditions Hazan relèvent le défi et une collection de monographies bilingues de jeunes créateurs français voit le jour en 1992 sous le double parrainage du Centre national des Arts plastiques et de l’AFAA. Les éditions Jacqueline Chambon suivront bientôt, fondant la collection « Critiques d’art », qui rassemble les textes d’un même auteur francophone sur une longue période. La responsable du Fiacre organise le dialogue et veille au respect de quelques règles simples. Ainsi, détail tout à fait révélateur de la déontologie régnante, la DAP s’interdit – s’opposant, s’il le faut à ses partenaires institutionnels – de faire apparaître sur le livre édité le logo de l’institution qui participe à son édition. Les choix de publications sont décidés dans la commission du Fiacre d’aide à l’édition, en deux sessions. L’engagement public ne peut dépasser 50 % du coût de l’édition. Mais le Fiacre accompagne les éditeurs, les artistes et le public de bien d’autres manières. En négociant auprès des premiers les prix les plus bas possibles mais aussi en leur assurant la cession des droits des artistes vivants dans le cadre des co-éditions, en travaillant sur les droits d’auteur et sur les contrats de traduction. En se souciant aussi de la diffusion et de la distribution en librairie, jugée avec raison comme le point sensible de toute publication. Le F.I.A.C.R.E. soutient ainsi l’initiative de Danièle Rivière des éditions Dis-voir, de rassembler une dizaine de petits éditeurs d’art contemporain au sein d’une structure de diffusion, IN EXTENSO. Mais le temps s’enfuit.
Il faudrait parler aussi des appels d’offres en faveur des traductions, des nouveaux projets de collections et de co-éditions concernant l’histoire contemporaine de la photographie, du graphisme et du design, et également de la formation des bibliothécaires. La tâche du F.I.A.C.R.E. se poursuit sous l’impulsion de Guy Amsellem depuis 1998, et recommence sans cesse, de la rencontre avec les auteurs et artistes aux conseils dispensés aux documentalistes, semblable à un processus de capillarité qui tisserait loin ses ramifications. C’est qu’« il y a tant à faire... » quand on s’est engagé à servir la cause publique et la cause du public, décidée à être le maillon agissant dans cette chaîne plutôt mythique des serviteurs de l’Etat, ce maillon qui transforme les deniers en savoir.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°539 du 1 septembre 2002, avec le titre suivant : Marion Sauvaire, au service du public

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