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Steve Reich, une nouvelle forme d’opéra

L'ŒIL

Le 1 novembre 2002 - 599 mots

Depuis une décennie, le compositeur américain Steve Reich s’attache à doter l’opéra contemporain d’une nouvelle palette de possibilités. Grâce à une étroite collaboration avec l’artiste vidéaste Beryl Korot, ses grandes pièces musicales récentes mêlent le reportage et la composition, le son et l’image, l’orchestre classique et les outils électroniques. The Cave, créé en 1993, et Three Tales, présenté au Festival d’Automne cette année, peuvent être qualifiés d’opéras multimédias. L’un et l’autre sont basés, non sur un livret, mais sur des fragments de « réalité » : interviews, archives visuelles et sonores. A travers ce matériau, brassé et réorganisé, c’est un discours sur le monde contemporain qui se construit : en suivant le fil de la symbolique religieuse dans The Cave, celui de la mythologie du progrès dans Three Tales.
Né en 1936 à New York, Steve Reich compte parmi les compositeurs les plus reconnus de la génération minimaliste. Avec Philip Glass et Terry Riley, dans les années 60, il évolue au cœur d’une scène artistique qui tient pour acquise l’interface entre la musique et les arts plastiques. Entouré de Sol Lewitt, Richard Serra, Bruce Nauman, il donne en 1966 des concerts à la Park Place Gallery, alors dirigée par Paula Cooper. A la même époque, il fonde son propre ensemble, Steve Reich and Musicians, et signe ses premières œuvres pour bandes magnétiques : It’s Gonna Rain (1965) et Come out (1966). Marqué par l’univers du jazz dans sa jeunesse, il s’oriente rapidement, comme Philip Glass, vers la rythmique des percussions africaines et la musique répétitive des civilisations orientales. Après un séjour d’études à l’Université du Ghana, en 1970, il se forme à la technique des gamelans balinais, entièrement basée sur la sonorité des instruments à percussion. Ces expériences intenses lui permettent d’approfondir les principes de répétition et de série. Ceux-ci sont devenus depuis les fondements d’une écriture épurée et rigoureuse, caractérisée par une grande tension énergétique. L’autre élément majeur de son langage sera l’électronique : très tôt, Steve Reich a recours à l’amplification, afin de « doser » le volume sonore de chaque instrument, plutôt que de multiplier leur nombre. Dans les années 70, le compositeur rencontre aussi ses propres origines juives, qui l’amènent à étudier les formes traditionnelles de la cantilation des écritures hébraïques, à New York et à Jérusalem. C’est la question du rapport aux symboles fondateurs de l’histoire religieuse qu’il aborde dans The Cave, interrogeant tour à tour des Israéliens, des Palestiniens et des Américains sur leur relation aux premières figures de la Bible : Abraham, Sara, Hagar, Ismaël et Isaac.
Dans cette nouvelle forme d’opéra, la voix parlée devient véritable matière première. Elle évolue de sa forme traditionnelle, le récitatif, vers un statut inédit. Les propos enregistrés des personnes interviewées servent littéralement de base mélodique à la composition musicale : le compositeur les transcrit musicalement, puis les reverse dans le tissu instrumental lors de la performance. Dans ce nouveau rapport au support d’enregistrement, Steve Reich se dit volontiers marqué par les vidéo-clips. Dans The Cave, comme dans Three tales – une grande fresque en trois actes – sur le thème progrès technologique qui va de Hindenburg jusqu’à Dolly, la première brebis clonée, la console d’échantillonnage devient un élément technique capital. Son rôle entre en syntonie avec le procédé vidéo : le matériel collecté par l’enregistrement est une boîte à mémoire où la composition puise et organise le sens. Oscillant entre l’observation et le commentaire, se tenant en retrait des questions politiques directes, Steve Reich et Beryl Korot expriment surtout la quête d’un renouveau épique, à travers une errance dans la mémoire collective du monde contemporain.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°541 du 1 novembre 2002, avec le titre suivant : Steve Reich, une nouvelle forme d’opéra

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