Art contemporain

César ou l’art de se remettre en question

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 janvier 2003 - 766 mots

S’il n’est évidemment plus temps de présenter César, il l’est encore et toujours de dire quel immense sculpteur il a été. 

Et cela d’autant plus que sa faconde et son naturel méditerranéens, qui faisaient volontiers les choux gras des médias, ont parfois pénalisé la perception de son art, d’aucuns voulant faire croire qu’il était sans cesse en recherche de représentation. Alors même qu’il était d’abord et avant tout en recherche permanente d’inventions plastiques et qu’il a eu au cours de sa carrière le courage et l’intelligence de se remettre en question sans rien perdre de son talent, ni de sa notoriété.

On oublie trop facilement l’incroyable succès que Cesare Baldaccini, né en 1924 dans le quartier de la Belle de Mai, à Marseille, a su se tailler au cours des années 1950 sur la scène internationale. Passé maître dans l’art de la sculpture métallique soudée, César avait pris la succession de Julio Gonzalez et de Germaine Richier, se distinguant notamment de ses prestigieux aînés par l’usage très singulier qu’il faisait de toutes sortes de matériaux de récupération et par un savoir-faire artisanal sans faille. De ses mains sortait alors tout un monde de sujets animaliers et humains venant s’inscrire dans la riche production d’images d’après-guerre en quête d’une réhabilitation de la figure – du Coq (1948) et de La chauve-souris (1954) à L’homme-oiseau (1956) et au Buste aux jambes fines (1959).

Au faîte d’une reconnaissance indiscutable, que sanctionne entre autres sa participation à la Biennale de Venise en 1956, la fréquentation du monde de la ferraille et sa fascination pour leur technique de fabrication des « balles » de métal vont entraîner peu à peu l’artiste à réfléchir à un nouveau concept pour la sculpture. A ses risques et périls, au Salon de Mai de 1960, César ose présenter ses premières compressions d’automobiles. C’est le scandale. D’un coup d’un seul, César voit s’écrouler l’édifice de ce pour quoi il était estimé. La compression, qui constitue en soi un geste inaugural, s’offre à voir comme l’inverse même de la sculpture qui a fait sa réputation. César prend ses distances par rapport à l’idée de manufacture : il fait faire, il délègue. Il ne met plus la main à la pâte : il dirige la réalisation de l’œuvre à la façon d’un chef d’entreprise donnant des ordres, des consignes. De plus, les compressions ne figurent plus rien, elles ne sont plus que de simples tas de métal mis en forme par les presses des ferrailleurs. Le public est perdu. C’est qu’il n’y voit pas – pas encore ! – la puissance symbolique du geste d’appropriation commis par l’artiste – appropriation duelle du mythe automobile et d’une technologie de pointe – à l’aube de la fondation du groupe des Nouveaux Réalistes. Il n’y voit pas la formidable réplique artistique que la compression offre en compensation plastique aux débordements de la société de consommation. Il n’y voit pas enfin que César a mis là au monde la forme la plus achevée de la colonne moderne, voire post-moderne, et qu’il peut à bon droit revendiquer le titre de statuaire. Cependant, si César ne s’interdit pas de poursuivre son œuvre en matière de sculpture métallique soudée, c’est qu’il proclame haut et fort la liberté de l’artiste, refusant toute classification et toute catégorie. Cette vivacité à la création, cette disponibilité et cette attention aux techniques et aux matériaux que lui offre le monde moderne sont l’objet de l’exposition niçoise, laquelle met l’accent sur « L’instinct du fer » qui gouvernait l’artiste. Rassemblant une quarantaine d’œuvres de 1949 à 1966, celle-ci permet de comprendre ce que d’aucuns ont pu qualifier comme un revirement mais qui n’est somme toute que le contrepoint à la nécessité d’une œuvre qui ne pouvait se contenter d’une seule voie, fût-elle royale. La pertinence de cette réunion tient par ailleurs dans le fait que le Musée d’Art moderne et d’Art contemporain avait eu l’occasion de présenter, quelques mois avant la disparition du sculpteur, la fameuse Suite milanaise faite de 40 compressions monochromes, puissante et singulière déclinaison du thème opérant a posteriori comme un émouvant chant du cygne. « César, l’instinct du fer », certes, mais un instinct dans lequel il n’est pas possible de cantonner l’artiste qui, sept ans après avoir imaginé la compression, va s’autoriser au même Salon de Mai de jouer d’un produit de synthèse – le polyuréthane – pour inventer l’expansion. Une autre façon de se remettre en question et, avec lui, la sculpture elle-même.

Nice, Galerie contemporaine du Musée d’Art moderne et d’Art contemporain, Promenade des Arts, tél. 04 93 62 61 62, 26 octobre-16 février.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°543 du 1 janvier 2003, avec le titre suivant : César ou l’art de se remettre en question

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