Architecture

« Ce qui arrive » ou regarder la mort en face

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 janvier 2003 - 474 mots

Forte d’une référence à la réalité d’un moment présent, l’expression « Ce qui arrive » n’en suggère pas moins celle d’un futur. Elle porte en elle à la fois le constat quasi attendu d’une situation donnée que l’on s’est refusé de prévenir et comme un regret de n’avoir pas su l’éviter en s’y préparant.

Utilisée pour illustrer le thème de l’accident tel qu’en parle ici même Paul Virilio, elle renvoie à quelque chose d’inéluctable qui semble être le fait d’un monde en perte de contrôle. Véritable préfiguration du musée des accidents auquel songe depuis de longue date l’urbaniste et le penseur, « Ce qui arrive » se présente pour l’essentiel comme une exposition que l’on pourrait qualifier de « création documentaire ». Outre les deux œuvres de Lebbeus Wood et de Nancy Rubin, réalisées tout spécialement pour l’occasion et qui relèvent pleinement de l’ordre de la sculpture, les vidéos et les films qui sont projetés et qui font l’exposition dans sa totalité sont ou ont été constitués à partir de documents d’archives. D’où le sentiment que l’on éprouve d’une exposition qui n’est pas tant d’art contemporain que de documentation autour d’un concept. La force de contingence de celui-ci est telle qu’il opère le rapprochement tant souhaité entre l’art et la vie à ce point d’en effacer les différences. Réalisée en parfaite collaboration avec l’Institut national de l’Audiovisuel et l’Agence France Presse, le contenu proprement artistique de « Ce qui arrive » procède de l’exploitation et de la mise en œuvre de toutes sortes d’archives historiques, d’époques et de sources différentes. C’est dire si la pratique du montage y est à l’honneur puisque c’est notamment par elle que se distinguent entre eux les travaux des artistes. Par la technique employée aussi – film, vidéo, webcam, etc. – et cette façon de mettre en scène l’image projetée. Mais de naufrages en crash de zeppelins, de navettes et d’avions, de déraillements de trains en explosions de raffineries et de centrales nucléaires, de tremblements de terre en séismes boursiers, les différentes œuvres de « Ce qui arrive » orchestrent toutes la même destinée également tragique du progrès. L’idée d’accident est si forte qu’elle ne laisse guère de latitude créatrice aux artistes, sinon d’être les témoins quasi brechtiens d’un étant donné avec lequel il leur faut composer (à noter que ceux-ci sont tous, à cinq exceptions près, originaires des Etats-Unis ou qu’ils s’y sont installés). Il en va ainsi d’un interminable panorama d’actualités terrifiantes et désastreuses dont l’exposition, il est vrai, est une façon d’inviter le spectateur à l’éveil d’une évidence. A la prise de conscience des travers et des débords d’une société qui n’ose pas regarder la mort en face – en particulier la mort programmée de ses propres inventions.

PARIS, Fondation Cartier pour l’Art contemporain, 261, bd Raspail, tél. 01 42 18 56 50, 29 novembre-30 mars.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°543 du 1 janvier 2003, avec le titre suivant : « Ce qui arrive » ou regarder la mort en face

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