Histoire

Aux sources de la Syrie ancienne

Par Valérie Bougault · L'ŒIL

Le 1 janvier 2003 - 1761 mots

LEYDE / PAYS-BAS

A la croisée de trois continents, la Syrie a vu passer sur son sol depuis le IIIe millénaire avant J.-C. presque tous les mouvements d’invasion qui ont écrit l’Histoire du monde, depuis les Akkadiens jusqu’aux Mongols. Tous ont laissé leur empreinte que les archéologues s’évertuent à déchiffrer. Une exposition à Leyde retrace, à l’aide de vestiges exceptionnels, les aventures d’une civilisation complexe.

Il prie depuis 4500 ans. Debout, les mains jointes sur son torse glabre, au-dessus de la jupe en peau de mouton ou de chèvre qui lui ceint les reins, le petit homme au crâne rasé implore peut-être Baal, dieu de la tempête et de la guerre, Astarté, déesse de l’amour et de la fertilité ou un autre des milliers de dieux qui composent le panthéon syrien en 2500 avant Jésus-Christ. Le sculpteur qui l’a taillé dans le gypse lui a fait les yeux ronds, signe d’une adoration sans faille pour la divinité, des yeux de lapis-lazuli cernés de schiste bitumineux d’une élégance théâtrale dans cette mine réjouie. On ignore son nom, il n’est qu’un dévot anonyme dans la foule des statues qui peuplaient le temple de Ninni-Zaza, dans la ville de Mari. Mais on sait qu’il est à l’effigie d’un dignitaire qui l’avait fait déposer dans l’enceinte sacrée afin qu’il prie jour et nuit face au dieu et attire sur lui ses faveurs. L’un de ces orants retrouvés par les archéologues portait, inscrit en écriture cunéiforme sur son épaule droite « Lamgi-Mari, roi de Mari ». Grâce à elle, on identifia le site de Mari, puissant royaume des rives de l’Euphrate, fondé vers 2000 avant J.-C. et brutalement dévasté par le Babylonien Hammourabi en 1760 av. J.-C. De Profundis, le petit homme de gypse ne prie plus pour personne désormais.
Entre gloire et destruction, l’histoire de la Syrie ancienne, préhistorique, antique, hellène ou romaine, est avant tout celle d’un lieu. Ici plus qu’ailleurs, la géographie a décidé de l’Histoire. Fenêtre ouverte sur une Méditerranée qui assure le contact entre l’Egypte et l’Asie mineure, elle est au carrefour de trois continents, l’Europe, l’Asie et l’Afrique.

Les progrès décisifs des écritures
L’Euphrate est une voie de communication majeure depuis les montagnes anatoliennes jusqu’au Golfe arabo-persique. Tous les conquérants ont déferlé en Syrie, des Hittites aux conquérants arabes et la plupart s’y sont attardés. En même temps dès le IIe millénaire, le relief alvéolaire a empêché la constitution d’un pouvoir centralisé fort. Au contraire, des royaumes indépendants se sont développés, entraînant la constitution de la cité. A peu de choses près, la civilisation urbaine est une invention syrienne. La Syrie a connu une longue Préhistoire. La présence humaine y est attestée dès le paléolithique inférieur, il y a 350 000 ans, et une tombe d’enfant a été retrouvée récemment à Dederiyeh, dans le Nord du pays, qui prouve que le sens de l’inhumation pourrait remonter à 60 000 ans. Surtout, les signes de la sédentarisation apparaissent avec les premiers villages, vers 12000, tel ce Mureybet aux maisons circulaires, découvert sur la rive gauche de l’Euphrate. Mais avant même que les habitants de ces campements ne s’adonnent aux expériences de l’agriculture et de l’élevage – ce qu’ils feront vers 8500 –, ils inventent probablement une divinité féminine dont ils répandent la figure sous la forme de statuettes et de peintures aux formes généreuses. Elles sont bientôt suivies de représentations de taureaux, parfois mi-homme, mi-bête. Deux symboles qui perdureront dans toutes les cultures syriennes.
Les premières villes syriennes semblent avoir été une expansion de la civilisation d’Uruk, en Mésopotamie, au IVe millénaire, puis, après une période de repli, une conséquence des échanges commerciaux le long de l’Euphrate : le bois, notamment, fait cruellement défaut à la Basse Mésopotamie. La ville de Mari en est l’illustration. Fondée une première fois au XXIXe siècle av. J.-C, elle connaîtra deux reconstructions avant de succomber définitivement en 1760 av. J.-C. Sa splendeur est légendaire. Au XXVe siècle un palais s’y élève qui abrite un sanctuaire mais aussi des ateliers qui ont pour tâche d’exprimer la puissance du pouvoir en produisant de riches objets d’art. On a retrouvé des petits bas-reliefs retraçant des faits d’arme ou des sacrifices, incrustés de nacre, matière plutôt rare sur les bords de l’Euphrate, d’ivoire et de coquillages et une jarre dont le contenu a été baptisé « Trésor d’Ur » : fibule d’or et d’argent, colliers de cornaline et de lapis-lazuli, pierres probablement rapportées d’Afghanistan, et un pendentif d’or et de lapis-lazuli représentant le dieu sumérien Anzu, démon au corps d’aigle et à la tête de lion. Convoitée, Mari connut la chute et la résurrection. Sargon d’Akkad l’annexe en 2300, dans une tentative souvent réitérée de réaliser l’unité du Proche-Orient. Sur les ruines qu’il laissera, une nouvelle dynastie, celle des Shakkanakku rebâtit la ville. Elle est dotée d’une ziggourat, de temples, de jardins et de terrasses et surtout d’un immense palais couvert de décors polychromes. 275 pièces se distribuent les appartements du roi et de sa famille, des salles d’audience, des logements pour les hôtes, des cuisines, des salles de bains. La cour du palmier, arbre artificiel constitué de matériaux précieux, conduit à l’antichambre de la salle du Trône où se dresse la statue de la déesse tenant le vase aux eaux jaillissantes, qui protège la fonction royale. Dans la salle du trône, le souverain reçoit les ambassadeurs et donne des banquets fastueux face à la sévère statue en diorite d’Ishtup-Ilum. Sous le règne de Zimri-Lim (1775-1760), Mari connaît son apogée artistique et économique : le roi d’Ougarit, cité royaume fondée sur les bords de la Méditerranée, envoie son propre fils visiter le palais pour lui rapporter ce prodige.
D’autres grands royaumes ont prospéré à l’âge du Bronze sur les terres syriennes : au pays de Canaan, Byblos et Ebla sont des places puissantes. A Ougarit, aux alentours de 1600, l’écriture, qui est née en Mésopotamie vers 3200, fait un progrès décisif : on invente en effet un alphabet de 30 lettres qui permet de simplifier considérablement les messages. L’écriture cunéiforme alphabétique nous a transmis les rituels et les prières de la religion de son peuple, dans des textes mythiques que sont Baal et la mer ou Baal et la mort.  La prospérité de ces villes, le raffinement de leur mode de vie – on a découvert dans la nécropole royale d’Ebla des bijoux et des statuettes, de la vaisselle en or et en argent, de nombreux objets d’art influencés par la culture égyptienne – attirent bientôt la convoitise de leurs puissants voisins. Ebla est dévastée par les Hittites en 1600, Ougarit succombe au début du XIIe siècle aux assauts des Peuples de la Mer, dénomination qui désigne des envahisseurs venus des îles grecques et qui iront jusqu’en Egypte démontrer leur frénésie guerrière.
Le Ier millénaire est celui du bruit et de la fureur pour le Moyen-Orient. En même temps que le développement de la métallurgie du fer ou que l’extension des écritures alphabétiques, les invasions se succèdent. Les villes syriennes sont bientôt soumises à un nouveau peuple sémitique, les Araméens, qui s’opposent aux Assyriens et fondent des royaumes de Damas à Zindirdjli en passant par Alep et l’oasis de Palmyre. Leur mode de vie fait de pastoralisme et de commerce s’impose au travers de leur langue qui conquiert très vite tout l’espace moyen-oriental, certainement grâce à son écriture linéaire alphabétique. L’araméen sera la langue de tout l’empire perse, de l’Indus jusqu’à l’Hellespont. Seuls les Phéniciens, qui régissent, vers 1200, une grande partie du commerce méditerranéen à partir de leurs ports de Tyr, Sidon ou Byblos, ne l’adopteront pas. Les Assyriens, en 700, asservissent définitivement la Syrie avant que les Babyloniens ne leur succèdent (612-538). La domination de la Perse achéménide (538-331) sera une période calme : la Syrie est devenue une satrapie dont le principal intérêt est son débouché maritime et les compétences de ses citoyens phéniciens. Mais un soir de novembre 333, un jeune général macédonien reste vainqueur d’une bataille qu’il avait engagée contre Darius, dans la plaine d’Issos. Avec la victoire d’Alexandre, la Syrie s’ouvre à mille ans d’histoire grecque, puis romaine, et finalement byzantine, une domination qui ne s’achèvera qu’avec la conquête arabe, en 634. L’Histoire, désormais, est écrite par les vainqueurs, gravée dans le marbre et la lumière, connue de tous.
On peut lui préférer des périodes plus obscures. La Syrie de l’âge de bronze est loin d’avoir révélé tous ses secrets. Depuis 1986, une mission néerlandaise, conduite par Peter Akkermans, conservateur de la collection du Proche-Orient ancien au musée de Leyde, fouille au Nord-est de la Syrie les ruines de Tell Sabi Abyad. On y a découvert, en 1988, les vestiges d’un village préhistorique vieux de 8000 ans et, en 1992, les ruines d’un fort assyrien datant d’environ 1200 ans av. J.-C. Dans le bureau de l’intendant de ce bastion, une urne était enterrée qui contenait les cendres d’un homme et d’une femme encore jeunes et de nombreux bijoux en or. La crémation était une coutume étrangère à la mentalité de cette époque et il pourrait s’agir d’un des premiers exemples de ce mode de disposition des défunts. A cet instant précis, la vision de la mort a changé et les proches de ce couple ont abandonné l’idée de préserver leurs corps. Et nul ne sait pourquoi.

L'exposition

Elle présente 640 objets provenant de 11 musées syriens et allant d’un million d’années avant J.-C. au XVIe siècle, dont le pectoral en or et lapis-lazuli représentant Anzu, un orant en gypse de Mari et un casque avec masque en argent et en fer d’un cavalier romain, le trésor liturgique de Résafé-Sergiopolis. L’idée qui préside à ce rassemblement peut apparaître parfois à la limite de la cohérence scientifique : si l’on n’y prend garde, la Syrie actuelle devient l’expression de la Mésopotamie entière, se confondant avec Sumer, Elam et Babylone. On n’en demande pas tant pour admirer la beauté des objets, exceptionnels. Cette exposition a été montrée en Suisse, au Canada et aux Etats-Unis, mais le musée de Leyde présente en exclusivité une section consacrée aux résultats des fouilles qu’il mène depuis 1986 à Tell Sabi Abyad. On y verra, entre autres, des tablettes d’argile qui témoignent, par leurs textes en écriture cunéiforme, de la situation administrative et économique des régions frontières de l’empire assyrien. « Source d’inspiration de la Syrie ancienne », Rijksmuseum Van Oudheden, Musée national des Antiquités, Rapenburg 28, Leyde, Pays-Bas, tél. 00 31 71 524 15 55 ou www.rmo.nl Jusqu’au 9 mars. Horaires : du lundi au dimanche, de 10h à 18h. Tarifs : 10 euros, gratuit pour les enfants en dessous de 12 ans.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°543 du 1 janvier 2003, avec le titre suivant : Aux sources de la Syrie ancienne

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