Ces salons dont on ne parle pas

Par Marie Maertens · L'ŒIL

Le 1 janvier 2003 - 1286 mots

Il y a les foires dont on parle, dont on relate chaque année les différentes évolutions et que le milieu de l’art attend impatiemment : c’est le cas de la Fiac, Art Paris, Paris Photo. Puis les salons que la presse, notamment artistique, boude depuis des années, ainsi en est-il du Salon d’Automne, malgré son prestigieux passé, de Mac 2000 ou encore du Grand Marché d’Art contemporain. Alors, snobisme ou pertinence de jugement ?

Le Salon d’Automne est créé en 1903 à l’initiative de l’architecte Frantz Jourdain « pour regrouper des artistes modernes qui arrivaient péniblement à obtenir la notoriété à laquelle ils avaient droit » et leur « abréger le stage si douloureux, si humiliant imposé aux novateurs ». La première édition eut lieu au Petit Palais avec des œuvres de Cézanne, Bonnard, Vallotton, Vuillard..., puis dès 1905 au Grand Palais où éclate, dans une salle de jeunes peintres à la touche très colorée, un scandale verbalisé par le critique Louis Vauxcelles avec son célèbre « Donatello chez les Fauves ».
Le salon se retrouve menacé d’expulsion, comme en 1912, après l’esclandre causé par des peintres cubistes. L’année suivante, un nu de Van Dongen attire les foudres de la censure jusqu’à être retiré le soir même de l’inauguration ! Mais pourquoi le public n’attend-il plus fiévreusement le jour du vernissage pour contempler ou vilipender les œuvres, comme c’était le cas au début du siècle, et ne s’écrie-t-on plus devant les toiles « C’est de la folie ! » ?
A sa création, ce salon, comme celui des Indépendants, était l’un des seuls moyens de pouvoir exposer pour les artistes ne suivant pas les diktats de l’Académie. Ce rôle étant ensuite progressivement pris en charge par les galeries et les musées, l’influence du Salon d’Automne s’amenuise, plus encore à partir de la Seconde Guerre mondiale. Jean-François Larrieu, actuel président du salon, y voit une évolution parallèle à celle de l’histoire de l’art et au déplacement du centre de la création artistique de Paris à New York. Pourtant, le salon, qui « joue » encore son rôle dans les années 50 en présentant l’abstraction française parmi lesquels Debré, Lanskoy et Poliakoff, connaît un dernier sursaut en 1983 avec les peintres de la Figuration libre, notamment Boisrond, Combas, Di Rosa, puis c’est le déclin. A sa nomination en 1994, Jean-François Larrieu, qui était déjà un artiste-exposant, décide de réorienter le rôle du salon et de le « professionnaliser ». A présent qu’il n’a plus à remplir une mission de découvreur de talent, le salon est devenu à la fois une vitrine, un lieu d’échange et de confrontation pour les artistes. Il représente pour ses membres un système plus culturel, plus associatif que celui du marché de l’art. Et si les artistes apprécient de vendre, le but est davantage de trouver une reconnaissance de la part du public, et surtout de celle des galeristes, venus chercher des talents prometteurs. Les artistes font davantage un travail de communication. « Que les galeries françaises ou étrangères se déplacent est la raison d’être du salon ». Elles sont ainsi en position de demandeurs, alors que la démarche inverse se clôt le plus souvent par un échec. L’art proposé reste fidèle aux supports classiques comme la peinture et la sculpture, mais ce choix est hautement revendiqué par le comité, qui n’a d’ailleurs pas les moyens de prendre en charge les frais de production d’une vidéo, comme le ferait une galerie.
Le salon n’a pas de prétention muséale, ni celle de s’inscrire dans l’histoire de l’art actuel. Le comité ne se veut pas élitiste et conserve un principe démocratique et éducateur. Les 850 artistes exposés, qui ne peuvent présenter qu’une seule œuvre, mis à part les quelques-uns qui ont obtenu un stand personnel après décision du comité, sont sélectionnés par celui-ci mais on y avoue que tout n’est pas « extraordinaire ». Une deuxième sélection reste à faire par le public, pour qui le salon demeure l’occasion de rencontrer directement les artistes et d’acheter des œuvres aux prix proches de ceux pratiqués en atelier. Ce salon symbolise ainsi pour ses défenseurs, peut-être un peu trop idéalistes, la création opposée au monde de l’argent des foires internationales : « La conviction et la passion de l’art mènent le débat dans les salons », nous dit-on.
C’est également par passion que Concha Benedito, artiste-peintre, conçoit Mac 2000 en 1985. 
A l’époque présidente du Salon de la Jeune Peinture depuis cinq ans, elle regrette que les participants ne puissent y présenter qu’une seule œuvre. « Nous organisions des expositions, mais jamais de choses importantes, car il est impossible de faire connaître un travail avec un tableau ou une sculpture. Je voulais donner aux artistes la possibilité de montrer leurs œuvres en quantité ». Elle fait alors une sélection rigoureuse mais tout à fait personnelle et de son propre aveu très « peinture-peinture ». Elle reçoit à présent 2 000 dossiers par an pour une centaine d’artistes exposés qui peuvent chacun présenter une quinzaine d’œuvres. Ici, même si l’on fait de l’œil aux galeries, le système des stands classiques incite davantage les visiteurs à l’achat spontané. De l’avis des artistes, le choix est assez bon, même si certains regrettent que parfois les objets prennent le pas sur les œuvres d’art, tendant à transformer le salon en foire de l’artisanat. Pourtant, c’est là encore pour les artistes qui ne sont pas représentés par une galerie l’un des seuls moyens, avec les portes ouvertes des ateliers parisiens, d’aller à la rencontre du public et de lui expliquer les techniques de création, ce dont il est particulièrement friand. Ce salon s’adresse à des visiteurs néophytes, qui avouent ne pas aller habituellement en galerie, et peut constituer ainsi le premier pas pour accomplir l’achat d’une œuvre originale. Les artistes remarquent que le public est fidèle à la manifestation et certains y débutent des collections.
Joël Garcia a, quant à lui, mis en place le Grand Marché d’Art contemporain en 1992 pour que les badauds, les chalands, sautent le pas au sens propre car ce « marché » se déroule dans la rue. La démarche est ici à l’exact opposé de l’élitisme et l’on se targue de ne pas sélectionner : « la sélection se fait par les acheteurs ». Les premiers dossiers arrivés sont les premiers inscrits. L’organisation est une société qui ne cherche pas à défendre les droits des artistes, mais à présenter des créateurs quels qu’ils soient, du couturier au concepteur de stylo. « Une rencontre s’est faite entre des gens qui voulaient exposer et ne pouvaient pas et moi, qui avais l’habitude d’organiser d’autres expositions ». Qu’une certaine presse et le milieu artistique soient méprisants importe peu à Joël Garcia, puisque le public et les ventes sont nombreux. Il organise à présent chaque année dix grands marchés d’art contemporain en France. Les artistes trouvent souvent que la formule est trop chère, mais pour ceux qui ont échoué à la sélection du Salon d’Automne et de Mac 2000, cela demeure le seul moyen d’être vu.
Foires d’art et salons d’artistes ont des modes de fonctionnement radicalement différents. Et si les premières affichent nettement des intentions mercantiles, la plupart des artistes exposés dans les salons n’aspirent qu’à être représentés à leur tour par une galerie dans l’une de ces foires dites commerciales. Ces salons ont représenté pour certains un tremplin : Boltanski, Buren, Fromanger ont ainsi commencé au Salon de la Jeune Peinture, aujourd’hui disparu. Pour les visiteurs, des découvertes sont toujours à faire à des prix très raisonnables, mais il est très hasardeux d’espérer investir ou faire de la spéculation avec ces artistes. Acheter une de leurs œuvres doit demeurer un pur plaisir personnel, et c’est déjà beaucoup diront certains.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°543 du 1 janvier 2003, avec le titre suivant : Ces salons dont on ne parle pas

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