Art moderne

L'Afaa à l’heure pragoise

Par Gérard-Georges Lemaire · L'ŒIL

Le 1 février 2003 - 842 mots

L'Association française d'action artistique a fêté en 2002 ses quatre-vingts ans. Cet anniversaire a coïncidé avec la saison tchèque, qui s'est déroulée avec quelques problèmes et quelques hiatus, mais qui a aussi produit une pléthore d'événements. Elle prépare pour cette année une saison algérienne qui risque de provoquer des réactions imprévisibles.

Quand elle voit le jour en 1922, l'Afaa s'appelle alors Association française d'expansion et d'échanges artistiques sous la double tutelle des Beaux-Arts et du ministère des Affaires étrangères. Douze ans plus tard, elle prend le nom qu'elle porte aujourd'hui et l'État tient déjà une place prépondérante dans son conseil d'administration, alors que de nombreux mécènes privés (Rothschild, Camondo, David-Weill, la Banque de Paris et des Pays-Bas, entre autres) y jouent un rôle essentiel. L'initiative privée est en somme soutenue par l'État, mais aussi soumise à ses exigences. Henri de Jouvenel, à partir de 1932, lui donne un véritable rayonnement, mais, en même temps, en fait « le ministère in partibus de la propagande française dans l'univers ». Pendant l'Occupation, elle peut s'enorgueillir d'avoir organisé la tournée de la compagnie de Louis Jouvet en Amérique du Sud. Après la guerre, Louis Joxe modernise l'institution et lui donne son aspect actuel. Elle devient l'instrument de la politique étrangère de la France. Elle permet également de présenter dans l'hexagone de grands créateurs étrangers ou des expositions patrimoniales, certaines d'une qualité exceptionnelle, d'autres plus curieuses, comme celle de l'art réaliste socialiste de l'Albanie !

La défense de l'art contemporain français, qui s'est développée récemment, s'est traduite par des opérations parfois contestables, guidées par la mode ou manipulées par des réseaux d'influence. La création des grandes saisons étrangères en France qui débutent en 2001 avec la Hongrie pose de nouveaux problèmes, entre autres parce qu’elles s'ajoutent à des événements déjà bien établis (le Festival d'Avignon, le Festival d'automne, les Belles Étrangères...).
À l'instar de la saison hongroise, la saison tchèque a été caractérisée par de nombreuses manifestations dans tous les domaines, ce qui a eu pour effet d'égarer le public et de rendre certaines expositions inaperçues. De surcroît, deux des grandes expositions prévues, celle consacrée au chef-d'œuvre pictural d'Alfons Mucha, « L'Épopée slave » et celle dédiée au grand collectionneur Vincenc Kramar, prévue au musée Picasso, ont été annulées (en revanche, son imposant catalogue vient de paraître). De plus, ni l'art médiéval ni l'art moderne n'y ont trouvé leur place.

Deux grandes expositions ont permis de découvrir l'art ancien de cette région de l'Europe : « Praga magica 1600 » au musée Magnin de Dijon, qui a présenté de superbes objets et tableaux de la formidable collection de Rodolphe II, que se partage aujourd'hui les musées de Prague, de Vienne et de Stockholm, et « Lumières et Ténèbres » au musée des Beaux-Arts de Lille, qui révèle différents aspects du baroque en Bohême, avec des toiles surprenantes, ainsi que des objets liés à la vie de l'époque et une maquette de Kuks où s'est illustré l'inestimable sculpteur Braun.

L'art de la Belle Époque a été illustré par un choix judicieux des œuvres des débuts parisiens de Kupka effectué par Markéta Theinhardt au musée d'Orsay et la superbe exposition de Frantisek Bilek, préparée par Véronique Gautherin au musée Bourdelle, qui est une révélation : ce sculpteur n'a d'égal en aucun autre pays en son temps, et son talent s'étend aux arts décoratifs (son mobilier est superbe), à la gravure et au livre.

L'art moderne n'a eu d'existence que par le biais d'expositions à caractère littéraire, comme « Paris/Prague de A à Z », réalisée par Antoine Marès au Centre culturel tchèque et consacrée aux traductions de livres français en tchèque, de grands artistes ayant collaboré à ces éditions. L’exposition « Métamorphoses de Kafka » au musée du Montparnasse (catalogue publié par les éditions Éric Koehler) a présenté, aux côtés d'œuvres rares ou inconnues de Mucha, Kupka, Elberg, une sélection importante de deux des membres du groupe Osma, qui a introduit la modernité à Prague en 1907 : Georges Kars et Otakar Kubin. En réalité, seule la rétrospective de Toyen au musée d'Art moderne de Saint-Étienne a rempli avec succès ce rôle d'initiation à l'esprit de l'art moderne tchèque.

L'art moderne a été mieux représenté, avec la rétrospective de Jiri Kolar et celle d'Adriana Simotova au musée des Beaux-Arts de Dijon, l'exposition personnelle du designer Boris Sipek au Centre tchèque, la très belle mise en espace des œuvres de Karel Malich à la chapelle Saint-Louis de la Salpétrière, la sélection d'artistes intéressés par l'élément lumineux à l'Espace Electra choisis par Camille Morineau, les photographies panoramiques de Josef Sudek à la Maison européenne de la photographie, les nouvelles créations de Vladimir Skoda au Centre d'art de Montbeliard, l'intéressante exposition de Cyroulnik à l'École d'art Gérard Jacot à Belfort, celle conçue par Anne Tronche à Nancy...

Quand on fait le bilan global de cette saison, il reste malgré tout positif. Mais cette grande dispersion des événements et leur multiplication exponentielle semble avoir nui à l'intelligence de l'ensemble.

PARIS, Afaa, 1 bis, ave Villars, VIIe, tél. 01 53 69 83 00.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°544 du 1 février 2003, avec le titre suivant : A l’heure pragoise

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