Daniel Dezeuze, éloge des grotesques

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 février 2003 - 376 mots

En 1933, le peintre et dessinateur allemand George Grosz, fuyant le nazisme, se réfugie à New York où il décide de fonder une académie de dessin pour gagner sa vie. À cette fin, il imagine différents slogans publicitaires pour attirer le client. L’un d’eux figurait – comme Grosz le raconte dans son autobiographie – « toutes sortes de gribouillages, taches d’encre, points, griffures, griffonnages avec la légende suivante : qu’est-ce que tout cela ? Réponse : ce sont les éléments de base de l’art graphique. Ils sont en vous, innés, dans un état de confusion certes mais venez y mettre bon ordre chez nous, venez apprendre à dessiner ». Daniel Dezeuze aime à citer cette anecdote comme exemplaire de ce qu’est cette pratique à laquelle il est si attaché. Membre fondateur du groupe Supports/Surfaces, il a développé par la suite son œuvre au regard d’une réflexion essentiellement calée sur le dessin parce que celui-ci est « nécessaire », qu’« aucune autre activité ne peut le remplacer » et qu’il touche au langage et à l’écriture dans une étroite proximité avec la pensée. Inspirée de ces figures imaginaires et décoratives propres à la peinture italienne du XVIe siècle et que l’on appelle des grotesques, la dernière livraison de Dezeuze s’offre un nouvel espace de liberté. L’artiste y décline en effet tout un monde de figures informes, proprement innommables, sans référence particulière, qui naviguent en suspension dans l’espace de la feuille où elles surgissent. Tant en couleurs qu’en noir et blanc, celles-ci font songer à des éléments organiques, plus ou moins formés, qui renvoient à l’idée d’un vivant instable et grouillant. Comme il en est de la pensée, si souvent insaisissable. L’intérêt de Dezeuze à l’égard des grotesques naît de ce qu’ils relèvent de l’esprit de « curiosité » propre à la Renaissance, et de leur façon de mettre en échec le principe perspectif dominant. Par là les deux expositions d’Ivry et de Nancy sanctionnent sa fidélité à l’attitude critique face au tableau et à sa mise en pièces qui signait jadis Supports/Surfaces.

- IVRY-SUR-SEINE, galerie Fernand Léger, 93, venue Georges Gosnat, tél. 01 49 60 25 06, 16 janvier-30 mars - NANCY, galerie Hervé Bize, 17-19 avenue Gambetta, tél. 03 83 30 17 31, 17 janvier-29 mars

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°544 du 1 février 2003, avec le titre suivant : Daniel Dezeuze, éloge des grotesques

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