Art ancien

Versailles, l’envers du décor

Par Guillaume Morel · L'ŒIL

Le 1 février 2003 - 1529 mots

Commandés au premier peintre du roi Charles Le Brun par Louis XIV pour les grands appartements, la galerie des Glaces, les salons et les chapelles, les grands décors du château de Versailles font actuellement l’objet d’une campagne de restauration. L’exposition d’une trentaine d’esquisses et de dessins préparatoires à ces fastueux plafonds rend compte de toutes les étapes de leur création, des projets imaginés par Le Brun soumis à Colbert et au roi jusqu’à l’éclat de l’œuvre définitive.

Lorsque Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) est nommé officiellement en 1664 surintendant des Bâtiments du roi, des Arts et des Manufactures, il a déjà à son actif l’aménagement des appartements royaux du Louvre et des Tuileries. Louis XIV (1638-1715) affiche très vite sa préférence pour le château de Versailles, et, sous l’impulsion de Colbert, les plus grands artistes vont œuvrer pour la splendeur du domaine où le roi s’installe définitivement en 1672. Charles Le Brun (1619-1690), premier peintre du roi, est chargé d’initier les projets pour les décors, de fournir aux différents artistes les dessins et de veiller à l’unité de l’ensemble. Entre 1670 et 1680 sont réalisés les décors des grands appartements, de la galerie des Glaces, des salons de la Guerre et de la Paix et, en dernier lieu, ceux des chapelles du château. C’est à l’élaboration de ces travaux que s’intéresse l’exposition organisée dans les appartements de Madame de Maintenon, à travers une sélection d’une trentaine de dessins et d’esquisses de Charles Le Brun et des artistes de son entourage comme Michel II Corneille, Jean Jouvenet ou Claude III Nivelon. Le premier atout de cette exposition est de montrer des œuvres rarement présentées qui, en plus de leurs qualités artistiques, revêtent un intérêt historique et documentaire. À ce titre, le dessin d’ensemble d’un projet refusé par Louis XIV pour le plafond de la galerie des Glaces est un document précieux. Réalisé d’après Le Brun, attribué par Nicolas Milovanovic – conservateur et commissaire de l’exposition –, à l’artiste Claude III Nivelon pour le souci du détail, la précision du trait, la forme des visages, ce projet traite le thème d’Hercule. Un personnage jugé trop métaphorique par le Roi-Soleil qui a finalement préféré se voir représenté en personne plutôt qu’à travers une allégorie, aussi élogieuse soit-elle. Nous sommes au lendemain de la guerre de Hollande (1672-1678), et il choisit le thème des conquêtes pour décorer la voûte de ce qui doit être le lieu le plus majestueux de Versailles. Outre celui de la galerie des Glaces, l’exposition présente d’autres projets rejetés, pour des raisons iconographiques (L’Ascension) ou politiques (La Chute des anges rebelles). Il faut rappeler que les programmes iconographiques étaient composés par un groupe d’érudits réunis par Colbert au sein de la Petite Académie, qui deviendra plus tard l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Libres d’interpréter ces programmes avec leur style et leur talent, les artistes essuyaient parfois des refus. L’Ascension, dont la première esquisse peinte par Jean Jouvenet est présentée dans l’exposition, n’a pas été acceptée à cause de sa thématique. Pour la quatrième chapelle de Versailles, Louis XIV préférera La Pentecôte, afin de représenter la Trinité sur la voûte, avec la Résurrection de Charles de La Fosse et Dieu le Père d’Antoine Coypel. Autre œuvre magnifique, mais qui restera à l’état d’ébauche, La Chute des anges rebelles, une huile sur toile de François Verdier d’après Le Brun, présentée accompagnée d’un dessin. Commandée à Le Brun pour la troisième chapelle du château, l’exécution de ce décor est compromise à la mort du surintendant en 1683. Colbert est alors remplacé par le marquis de Louvois qui se montre hostile à Le Brun. Résultat, la chapelle demeurera sans décor. L’Allégorie du passage du Rhin par l’armée royale le 12 juin 1672 de Michel II Corneille est une curiosité. Cette œuvre, d’abord attribuée à Le Brun, que l’on a pu rapprocher d’un dessin de forme cintrée, probablement destiné à une voussure, n’a jamais pu être mise en relation avec un décor peint existant. L’œuvre définitive n’a peut-être jamais été exécutée, ou a été détruite. La fragilité des décors peints entraîne souvent leur perte. Beaucoup de grands décors du XVIIe siècle ont disparu à cause du vandalisme, des incendies ou du manque d’entretien. Ceux de Versailles y ont miraculeusement échappé.

Les esquisses peintes sont les dernières étapes avant l’agrandissement au format de la voûte ou du plafond pour le transfert. Elles sont montrées au surintendant des Bâtiments et bien sûr au roi, qui donne ou non son accord définitif. Représentant les victoires de Louis XIV, trois esquisses de la main de Le Brun sont réunies dans la quatrième salle : Bellone en fureur, L’Allemagne défaite et La Hollande défaite. Elles surprennent par leur vitalité, la lumière et le mouvement qui les animent ; elles sont la meilleure démonstration du talent de l’artiste, de son style rapide et expressif. Il est évident que Charles Le Brun est aujourd’hui sous-estimé. Peu d’expositions d’envergure ont été programmées depuis celle organisée à Versailles en 1963 (catalogue de Jacques Thuillier et Jennifer Montagu) et les études approfondies consacrées à son œuvre sont rares. La biographie que Nivelon a écrite demeure donc un précieux document ; une édition de ce manuscrit par Lorenzo Pericolo est d’ailleurs en cours de publication. Dans la même salle, La Prise de Gand, un très beau dessin du même Nivelon, artiste plus à l’aise dans le détail et la minutie que dans les compositions d’ensemble (où excelle Charles Le Brun), laisse à penser qu’il ne mérite pas l’oubli dont il a été victime. En mettant en relation les esquisses peintes avec un ensemble de dessins, cette partie du parcours illustre le débat vif qui anime dans la seconde moitié du XVIIe siècle artistes et théoriciens : la querelle trait/couleur qui oppose les admirateurs de Poussin à ceux de Rubens. Les œuvres choisies ici montrent deux aspects de l’élaboration du décor, indispensables à l’artiste et au commanditaire pour imaginer le rendu final.

De la création à la restauration
L’exposition se révèle passionnante à bien des égards. Sur le plan artistique, elle documente le processus d’élaboration, évoquant le contexte dans lequel ces décors ont été commandés, conçus, présentés au roi, puis exécutés. Son autre qualité est son aspect scientifique. Elle témoigne d’une véritable volonté de faire avancer les recherches sur ces décors, avec de vraies découvertes, un contenu documentaire et des textes clairs. Nicolas Milovanovic pose des questions fondamentales : celle de l’attribution des œuvres, avec de nouvelles propositions, celle du travail des élèves de Le Brun longtemps restés dans l’ombre du maître, en en réhabilitant certains (Nivelon), et enfin, il soulève les problèmes liés à la conservation et à la restauration de ces ensembles peints, puisque Versailles est en période de grands chantiers. En effet, après celui du salon d’Hercule et en attendant celui de la galerie des Glaces en 2004 (pour une durée de cinq ans), le plafond du salon des Nobles (à l’origine l’antichambre du grand appartement de Marie-Thérèse, épouse de Louis XIV, nommé aussi salon de Mercure) est en cours de restauration. Peint par Michel II Corneille, le décor central met en scène Mercure répandant son influence sur les arts et les sciences. Sur les voussures (côtés) sont représentées Pénélope tissant, Aspasie dissertant avec des philosophes, Lala de Cyzique peignant et Sapho jouant de la lyre, tandis que L’Académie, Le Commerce, La Diligence et L’Étude ornent les écoinçons (angles). La dernière restauration du plafond remonte aux années 1950. De nombreuses
questions se posent : que restaurer et comment ? Quels partis prendre et que faire des restaurations antérieures ? Cette fois-ci, le principal objectif est d’enlever les repeints. La peinture centrale, par exemple, a été repeinte à 80 % lors de la dernière restauration. Il s’agit dans un premier temps de retrouver la couche picturale d’origine, puis de retirer les vernis et les repeints. Les toiles sont démarouflées (décollées) pour des raisons de mauvaise adhérence. Par exemple, le panneau d’Aspasie sera détaché du plafond, puis collé sur un support rigide et incurvé, avant d’être réinséré à son emplacement d’origine. Toutes les interventions doivent être réversibles et permettre une « dérestauration » future. Le chantier, prévu pour dix mois, occupe onze restaurateurs et restera inaccessible au public pendant toute sa durée. Toutefois, en ouverture de l’exposition, des images vidéo enregistrées sur le chantier, régulièrement actualisées, permettront aux visiteurs de suivre l’avancement des travaux.

L’exposition marque une étape supplémentaire dans la connaissance et la compréhension de ces peintures. Les grands décors peints français ont jusqu’ici été peu étudiés, contrairement aux décors italiens qui ont fait l’objet de nombreuses publications et expositions, notamment celle organisée l’été dernier au musée Fesch d’Ajaccio, « Les Cieux en gloire », consacrée aux décors baroques plafonnants (L’Œil n° 537).

L'exposition

L’exposition « Les Grands Décors peints de Louis XIV. Esquisses et dessins » est ouverte du 10 décembre au 9 mars. Tous les jours sauf le lundi et les jours fériés de 9 h à 17 h. Plein tarif : 7,5 euros, tarif réduit : 5,3 euros, gratuit pour les moins de 18 ans. Exposition incluse dans la visite des grands appartements. Château de Versailles, appartement de Madame de Maintenon, entrée A, cour de la Chapelle, tél. 01 30 83 78 00.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°544 du 1 février 2003, avec le titre suivant : Versailles

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