Arts de l’Afrique du Sud-Est de la collection Conru

L'ŒIL

Le 1 février 2003 - 412 mots

Dans l'avant-propos de ce très beau livre, mettant en valeur par une édition soignée et des photographies à l'avenant beaucoup d'objets magnifiques, l'heureux propriétaire des pièces présentées, Kevin Conru, un contrebassiste qui fut membre fondateur, au cours des années 1980, de l'Orchestre philharmonique du Natal, explique que c'est le plaisir tactile du bois des instruments de musique qui a éveillé sa vocation de collectionneur. En commençant à jouer dans le Natal, il a appris à connaître la région et s'est mis à collecter des objets de la vie quotidienne au Zululand. L'analyse esthétique, menée dans les textes de Karel Nel et de Sandra Klopper, permet de repérer les caractères distinctifs de cette production artistique qui réunit des cultures à cheval sur le Botswana, le Zimbabwe, le Mozambique, l'Afrique du Sud, le Lesotho et le Swaziland. Contrairement au classement simpliste qui avait regroupé jusqu'aux années 1990 l'ensemble sous l'étiquette « Zoulou », il existe une complexité historique de la région, que l'ouvrage tente de faire comprendre. Ces objets sont le reflet de la vie pastorale et nomade de la majorité des peuples qui les fabriquent : leur nature même (cuillères, boîtes à priser le tabac, appuie-tête, manteaux, colliers, etc.) les a trop longtemps relégués au rang de pièces strictement ethnographiques. Or, dans la mesure où la tradition du masque et des statuettes-figurines est peu implantée en Afrique du Sud-Est, ce sont en l'occurrence les objets quotidiens qui tissent un lien symbolique entre le monde social de la vie immédiate et celui des ancêtres. Les appuie-tête, par exemple, utilisés sur une natte où l'on s'étend, constituent le lien unique de l'individu avec les ancêtres, puisque tout passe par le rêve. On retiendra ceux de la culture shona, avec leurs contours carrés et leurs décors évoquant la fécondité féminine à travers des dessins aux formes concentriques. De plus, ces objets, monnaie d'échange bien souvent pour le commerce et les mariages, témoignent d'interactions multiples et de relations de pouvoir entre communautés ou avec le colonisateur. Pareil phénomène a entraîné un chevauchement des significations qui leur furent attribuées à l'origine avec celles qui furent greffées lors des déplacements ultérieurs. En passant à une autre communauté, l'objet trouvait de nouveaux usages qui estompaient sa désignation et sa symbolique initiales. Cet ouvrage, à acquérir d'urgence, est indéniablement riche d’enseignements et d’informations.

Sandra Klopper, Karek Nel, Art de l'Afrique du Sud-Est de la collection Conru, traduit de l'anglais par Pierre Saint-Jean, photographies Heini Schneebeli, éditions 5 Continents, 2002, 59 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°544 du 1 février 2003, avec le titre suivant : Arts de l’Afrique du Sud-Est de la collection Conru

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