Susanna Fritscher, la peinture immaculée

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 mars 2003 - 401 mots

Dans le grand espace lumineux, chapeauté par une immense verrière, du lieu d’art contemporain que s’est inventé la maison Hermès à Bruxelles, le travail de Susanna Fritscher trouve une nouvelle fois l’occasion d’un plein épanouissement. 
Peintre absolument, l’artiste n’utilise qu’une seule couleur, le blanc, qu’elle pulvérise sur un support pour constituer des peintures extrêmes qui jouent d’effets plastiques allant de la transparence à l’opacité et de la légèreté à la densité. Réalisées tantôt sur des plaques de Plexiglas, qu’elle suspend dans l’espace ou qu’elle appuie contre le mur, tantôt directement sur celui-ci, les compositions monochromes de Susanna Fritscher induisent toute une circulation du regard – et, partant, du corps – que gouvernent la lumière et les qualités tant d’absorption que de réflexion des matériaux employés. Ce travail d’une rigueur sans concession n’en est pas moins chargé d’une rare puissance poétique du fait des jeux nombreux et subtils de dévoilement et de disparition qu’il génère et que conforte le soin scénographique de sa mise en espace, dans une relation toujours intelligente au contexte architectural. Par son exigence, son économie de moyens et l’objet de sa quête, l’art de Fritscher n’est pas sans rappeler la pensée suprématiste qui vise à libérer la peinture de toute contingence pour la livrer au regard dans la plénitude d’une immatérialité. C’est-à-dire tout à la fois d’une pureté et d’une spiritualité. La façon qu’a l’artiste de composer avec l’imperceptible, de pousser la notion de recouvrement, propre à l’idée même de peinture, jusqu’à son évanouissement, relève de la volonté d’atteindre à quelque chose de sublime, voire d’éthéré, dans tous les cas d’inaccessible.
Et c’est bien là ce à quoi aboutit Susanna Fritscher : face à ses œuvres, le regard s’abîme dans l’infinitude du temps et de l’espace pour faire l’expérience de l’immaculé, du silence et de l’étendue. À une époque où un flux ininterrompu d’images submerge le quotidien, la peinture de Fritscher fait œuvre de salubrité mentale et visuelle par ce choix que fait l’artiste de ne laisser aucune place à l’émergence d’un signe mais d’instruire au contraire un espace éperdument sensible.

BRUXELLES, La Verrière, Hermès, 50 boulevard de Waterloo, tél. 00 32 (0)2 511 20 62, 24 janvier-22 mars ; LE CRESTET (Vaucluse), Crestet centre d’art, chemin Verrière, tél. 04 90 36 35 00, à partir du 5 avril ; PARIS, musée Zadkine, 100 bis rue d’Assas, tél. 01 55 42 77 20, à partir du 15 mai.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°545 du 1 mars 2003, avec le titre suivant : Susanna Fritscher, la peinture immaculée

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