Un siècle d’art espagnol

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 mars 2003 - 731 mots

Picasso, Gris, Dalí, Miró, González, Tapiès, Chillida, Arroyo, Barceló... ce sont là quelques noms qui nous sont ordinairement familiers quand on parle d’art espagnol. Cette familiarité résulte de ce que la carrière de ces artistes s’est essentiellement faite à partir de chez nous. Mais qu’en est-il au juste de l’histoire de l’art espagnol au cours du XXe siècle ? Intitulée « De Picasso à Barceló », l’exposition que la fondation Gianadda consacre aux artistes espagnols qui l’ont animé vise précisément à faire le point sur la question. Pour l’historienne d’art Maria Antonia de Castro, qui en est la commissaire, les choses sont claires : « On a le plus souvent une vision floue, estompée, du panorama global de la création espagnole au xxe siècle et du réseau particulier de relations que les artistes ont établies entre eux et avec la modernité. Le fait que certains aient décidé de venir vivre à Paris a certainement contribué à l’absence d’une perspective générale de l’art espagnol hors d’Espagne. En résultent, d’un point de vue européen, les proportions démesurées prises par l’image de certains artistes, et particulièrement Picasso. »
Maria Antonia de Castro s’est donc appliquée à remettre en perspective les différentes séquences qui scandent l’histoire d’une scène nationale très riche en événements, tout en soulignant les aspects spécifiques de l’art espagnol dans sa contribution au développement de la modernité. Pour mieux en rendre compte, elle a délibérément choisi le mode chronologique, afin de restituer à chacun des différents mouvements, tendances et groupes les plus significatifs, sa place, son rôle et son influence. Cela lui permet par ailleurs de bien mettre en valeur l’organisation des artistes dans les combats d’avant-garde auxquels ils ont participé et de caractériser l’engagement de leur attitude – ce que Maria Antonia de Castro appelle « leur ferveur ironique et critique » – au regard d’un contexte culturel, social et politique qui leur a été le plus souvent hostile.
Structurée en quatre séquences, l’exposition de la fondation Gianadda s’ouvre sur les « avant-gardes historiques » de la première moitié du siècle. Articulées autour de moments comme le cubisme,
la figuration des années 1920, le surréalisme et la douloureuse période de la guerre civile,
celles-ci sanctionnent notamment l’influence de Picasso sur la génération la plus jeune de cette exposition et celle de Miró sur la génération abstraite des années 1950. Sans oublier la singularité cubiste de Gris, la vision hallucinée de Dalí et la sculpture métallique soudée de González.
La deuxième séquence met en exergue l’aventure des « nouvelles avant-gardes » qui émergent dans l’immédiat lendemain de la guerre en procédant à une analyse des différentes voies abstraites prises
par les artistes. Si elle s’intéresse à la force individuelle du matiérisme de Tapiès, de la géométrie de Palazuelo, de l’expressionnisme de Saura, de la gestualité de Millares, de la quête du vide chez Oteiza, du sens de l’espace chez Chillida, elle met aussi à jour « les parentés qui s’établissent entre eux » dans une même communauté identitaire.
Les œuvres d’Equipo Crónica, d’Arroyo, de Gordillo et d’Alcolea constituent la troisième séquence –  les années 1960-1970. Elles témoignent quant à elles d’une rupture radicale tant du point de vue du contenu que de la forme. Figuratives pour l’essentiel et militantes pour la plupart, elles organisent une véritable « révision des avant-gardes » antérieures, inaugurant un langage plastique qui cultive les aplats colorés et se nourrit d’une iconographie proche du Pop Art. En écho à une situation politique internationale et intérieure, elles semblent anticiper la fin de la dictature franquiste.
La dernière étape de l’exposition situe l’art espagnol de la fin du XXe siècle au cœur du débat sur la « postmodernité ». La sélection d’œuvres qu’elle propose de trois des plus importants artistes de la scène artistique contemporaine – Sicilia et Barceló pour la peinture, Muñoz (malheureusement décédé en 2001) pour la sculpture – met l’accent sur les conséquences de l’internationalisation de l’art. Le retour à une peinture héritière de la tradition auquel ceux-ci souscrivent et l’intérêt de celui-là pour les enjeux d’une sculpture qui se met en scène sanctionnent cet état de fait. Ils conservent toutefois quelque chose qui leur est proprement idiomatique, une vision transcendante de l’art, un goût pour les matériaux et, paradoxalement, cette mesure de réalité qui compose toujours, pour finir, l’art espagnol.

MARTIGNY, fondation Pierre Gianadda, 59 rue du Forum, tél. 027 722 39 78, 31 janvier-9 juin.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°545 du 1 mars 2003, avec le titre suivant : Un siècle d’art espagnol

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