La Nouvelle Objectivité : chroniques d’une époque

L'ŒIL

Le 1 mars 2003 - 582 mots

Premier des grands événements du programme de Guy Tosatto, nouveau directeur et conservateur en chef du musée de Grenoble depuis le départ de Serge Lemoine l’été dernier (L’Œil n° 539), cette exposition sur la Nouvelle Objectivité est un projet ambitieux. En réunissant plus de deux cents œuvres graphiques, elle dresse un panorama très complet de cette tendance née en Allemagne dans l’entre-deux-guerres, à travers une trentaine d’artistes, d’Otto Dix, Max Beckmann et Georg Grosz à d’autres moins connus comme Rudolf Schlichter – l’un des plus engagés, cofondateur avec Grosz du groupe Rouge –, Karl Hubbuch, Georg Schrimpf ou Rudolf Dischinger. Sur fond de crise économique et politique, les années 1920 sont, en Allemagne, celles d’une effervescence culturelle, tant dans les domaines de la littérature, de la musique, du cinéma que dans celui des arts plastiques. La Neue Sachlichkeit, ou Nouvelle Objectivité, naît en réaction contre l’expressionnisme et opère, sur le plan stylistique, un étonnant retour au réalisme.
Le terme est inventé en 1923 par Gustav Hartlaub, critique d’art et directeur de la Kunsthalle de Mannheim, qui organise en 1925 la première exposition des artistes rassemblés sous cette appellation, dont Beckmann, Grosz et Dix sont les chefs de file. Selon la vision quelque peu schématique d’Hartlaub, la Nouvelle Objectivité se divise en deux « pôles » : le Vérisme à Berlin et le Réalisme magique au sud de l’Allemagne, notamment à Munich. Mais le mouvement est à considérer dans son ensemble, les limites géographiques étant vite effacées par les déplacements des artistes, leur rassemblement dans des expositions collectives et les rapprochements qui peuvent exister entre leurs différentes sensibilités. Le terme de Nouvelle Objectivité définit un art analytique, très axé sur le dessin où la couleur, primordiale chez les peintres expressionnistes, n’a plus la même valeur expressive. C’est un art du témoignage et du constat qui pose un regard acéré sur le quotidien des hommes et des femmes – ouvriers, bourgeois, intellectuels ou prostituées – et qui dépeint la société dans laquelle ils évoluent au travers de portraits inquiétants, de vues urbaines, de scènes nocturnes de bars et de cabarets. Dans le vif de la caricature, le croquis d’un visage saisi dans sa plus forte expression, les dessins mettent à nu leurs sujets dans une proximité dérangeante. La critique politique et sociale des dessins de Grosz et Dix porte l’empreinte de leur passage par le club dada de Berlin, avec une force du trait qui donne aux œuvres une dimension dramatique et un caractère incisif, sous le masque de la satire et de l’ironie. Les personnages de Rudolf Schlichter, qui rappellent l’univers de Giorgio De Chirico, prennent l’apparence d’hommes-robots, d’automates, montrant que l’individu vit dans une société qui fonctionne comme une machine, dépourvue d’humanité. Du côté de Munich et de l’académie de Karlsruhe, dominée par Karl Hubbuch et Rudolf Dischinger, les artistes se tournent vers des sujets plus classiques, entre natures mortes, scènes d’intérieurs et paysages industriels désertés, loin de l’agitation berlinoise. Des visions peut-être moins acides, mais nourries du même souci de vérité. Sous ses divers aspects, la Nouvelle Objectivité, qui ne s’est jamais affirmée comme un mouvement constitué – il n’y a pas eu de manifeste –, doit être comprise en tant que phénomène révélateur d’une crise, comme le reflet glacé et glaçant de la réalité culturelle, politique et sociale de la République de Weimar.

GRENOBLE, musée, 5 place de Lavalette, tél. 04 76 63 44 44, www.museedegrenoble.fr, 15 février-11 mai, cat. coéd. musée de Grenoble/RMN, 248 p., 350 ill., 38 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°545 du 1 mars 2003, avec le titre suivant : La Nouvelle Objectivité : chroniques d’une époque

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