Tony Cragg au pied de la BNF

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 mars 2003 - 746 mots

S’il s’est fait connaître à la fin des années 1970 et au début des années 1980 dans le contexte général de ce que l’on a appelé « la nouvelle sculpture anglaise », Tony Cragg s’en est très vite démarqué pour imposer son propre style. Après avoir développé un art exploitant les ressources plastiques de l’objet de récupération dans des assemblages tant géométriques que chromatiques, au sol comme au mur, en relation parfois de sens avec l’un de ces objets, il s’est appliqué à en dépasser la qualité proprement « pop » pour décliner une œuvre plus organique. Comme s’il avait eu le souci de réactiver une tradition inaugurée par son compatriote et aîné Henry Moore, Cragg s’est inventé un vocabulaire formel conjuguant son intérêt pour les sciences et son goût des matériaux. Monumentales, ses œuvres empruntèrent à un registre naturel de molécules d’ADN, de dents, de coquillages..., dont
il reprenait plus ou moins la structure pour réaliser des pièces aux formes premières et vivantes. Multipliant les manières de qualifier une surface, de définir une forme, Tony Cragg n’a eu de cesse d’utiliser toutes sortes d’objets – cintres, vases, pièces tournées – et de matériaux – verre, sable, bois, bronze, gypse...
Dans le même temps, il déclinait toutes sortes de procédures : fonte, moulage, empilement, assemblage, crayonnage... « L’important est peut-être, disait-il il y a une dizaine d’années, la façon dont les matériaux déjà occupés par une série d’informations sont placés dans la situation ambiguë de pouvoir être utilisés pour autre chose. » Soucieux de formalisme, l’art de Tony Cragg n’en est pas moins préoccupé par les relations dialectiques qui existent entre le vivant et l’artificiel. S’il déclare accepter le monde fabriqué « tant qu’il fournit des images et des significations aussi profondes et riches de sens que celles que l’on trouve dans les événements naturels », c’est qu’il entrevoit la sculpture comme un langage autonome, à même « de traiter et d’exprimer l’existence ». Un langage d’images – précise-t-il – « qui révèle des sentiments et des idées que personne n’avait encore jamais eus ».
Dans cette optique, force est de considérer l’œuvre de Tony Cragg, jusqu’à ses plus récentes propositions, à l’aune d’un apprentissage de la forme quand celle-ci consiste à la fois en jeux de constructions, en combinaisons et en métamorphoses. Du moins est-ce ainsi que l’on ne manquera pas de l’aborder, en découvrant les douze grandes sculptures d’extérieur, toutes réalisées entre 1999 et 2002, qu’il a installées sur les parvis nord-est et sud-est de la Bibliothèque nationale de France. Une première dans le genre d’autant plus réussie que la confrontation avec les tours de Dominique Perrault était risquée mais la justesse formelle des œuvres du Britannique y trouve une rare qualité d’espace. Témoin de la prospection permanente que mène Cragg sur le terrain des sciences les plus avancées – il a fait des études poussées de chimie avant sa carrière artistique –, cet ensemble sanctionne l’énergie innovante et créative de l’artiste. Le lien significatif qui existe entre l’échelle du corps et la monumentalité du site architectural est conforté par les formes tantôt aérodynamiques, tantôt organiques, de ses sculptures. Si celles-ci ne renvoient toutefois qu’à elles-mêmes, c’est qu’elles en appellent à un vocabulaire abstrait de pleins et de creux, de percées et de béances, de courbes et de rondeurs, qui ne sont autres que les éléments d’un alphabet personnel et inédit. Plâtre, pierre, Kevlar, carbone, bronze, Inox, comme à son habitude Tony Cragg passe d’un matériau à l’autre exploitant chacun d’eux pour ses qualités suggestives de masse, de légèreté, de souplesse, de résistance. Qu’elles basculent légèrement sur le côté, qu’elles s’étendent au sol de tout leur long, qu’elles se ramassent sur elles-mêmes en tas, qu’elles fassent le pont ou se dressent sur leurs pattes, les sculptures de Tony Cragg évoquent des organismes bel et bien vivants. C’est qu’à considérer la sculpture comme un événement naturel, il finit par en disséquer les modes d’information, de constitution, de fonctionnement sur un mode scientifique, s’assurant de sa capacité à instaurer un dialogue « comme [avec] toutes les autres choses existant au monde ».
Tony Cragg expose également à la galerie Chantal Crousel. Pour la septième fois invité, l’artiste y présente des dessins et des sculptures en bronze récents.

PARIS, Bibliothèque nationale de France, parvis nord-est et sud-est, quai François Mauriac, XIIIe, tél. 01 53 79 59 59, 8 mars-15 mai ; galerie Chantal Crousel, 40 rue Quincampoix, IVe, tél. 01 42 77 38 87, jusqu’au 15 mars.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°545 du 1 mars 2003, avec le titre suivant : Tony Cragg au pied de la BNF

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