La Tefaf, l’excellence s’ouvre à la contemporanéité

Par Marie Maertens · L'ŒIL

Le 1 mars 2003 - 1547 mots

La foire de Maastricht se porte bien avec, en 2002, 15 % de visiteurs supplémentaires. Cette année, la sélection des œuvres, d’une rare qualité, confirme cette bonne santé.
Les points forts se concentrent sur le thème de la figure mais les amateurs de paysages ou de natures mortes y trouveront également leur compte.

Pour sa seizième édition, la foire néerlandaise ne déroge pas à sa réputation, avec cette année des points forts qui se concentrent sur le thème de la figure, même si amateurs de paysages ou de natures mortes trouveront bien évidemment un choix de très haute qualité. Présentant deux cent un exposants de treize pays différents, les organisateurs souhaitent égaler ou dépasser le chiffre de soixante-quinze mille visiteurs de l’an passé (chiffre qui représentait une augmentation de près de 15 % par rapport à 2001), provenant des pays limitrophes, mais également de Suisse, d’Italie, de France, d’Espagne ou des États-Unis et comprenant de nombreux conservateurs.
Événement majeur annoncé dans les dernières semaines de préparation, une sculpture conduisant au cœur de l’Italie sera dévoilée... Ainsi que les résultats d’une étude menée sur le fonctionnement de la TVA au sein du marché de l’art européen suite à un précédent rapport soulignant que celle-ci était l’un des facteurs entravant sa croissance.
La sélection proposée prouve néanmoins que ce marché ne se laisse pas aller au pessimisme. L’année 2002 a d’ailleurs été florissante pour un certain nombre de galeristes qui ont apporté par conséquent des œuvres majeures. Quant à la comparaison incessante entre cette manifestation et la Biennale parisienne, les avis des exposants sont à ce sujet très partagés. Si certains avouent réserver leurs pièces d’exception pour la Biennale, d’aucuns vous rétorquent qu’ils vendent beaucoup plus à Maastricht, quand d’autres ne font pas de différence qualitative entre les deux foires. Un critère se vérifie néanmoins, le xviiie siècle, français et italien, plaît davantage aux visiteurs parisiens et, de ce fait, demeure moins représenté à Maastricht. Mais là encore des exceptions, comme chez Emmanuel Moatti, spécialiste de cette période : « Étant marchand, je propose mon goût, ma sélection, même si parfois ils ne s’adaptent pas de la même façon aux quatre coins du globe. Après quelques années d’essai et de “pots cassés”, je fais une très bonne foire depuis trois-quatre ans car les visiteurs apprécient de voir autres choses que des œuvres de l’école du Nord. » Et effectivement, bien d’autres choses seront à contempler.
Notamment, la pièce annoncée comme le chef-d’œuvre de cette session : le modèle en terre cuite du Bernin pour la fontaine du Maure située non loin de la fontaine des Quatre Fleuves, Piazza Navona à Rome. Proposé par Salander-O’Reilly (New York) à plus de 10 millions de dollars, il mesure
80,5 centimètres et date de 1653. Ce galeriste expose en outre une statue en marbre de Saint Benoît de Nursie, œuvre de Tino di Camaino, réalisée vers 1330 pour un monastère bénédictin des environs de Naples, pour lequel le sculpteur créa ensuite un relief d’autel qui lui permit de rivaliser avec son contemporain Giotto.
L’attention des autres marchands – sans qu’il n’y ait eu aucun mot d’ordre – semble s’être également portée sur la représentation de la figure pour les pièces les plus importantes de cette édition 2003. Ainsi, l’on pourra admirer chez Royal-Athena (New York) une statue égyptienne de l’Ancien Empire (2613 à 2160 av. J.-C.), d’une taille importante pour l’époque (62 centimètres), en bois, un matériau dont il est rare de trouver des exemplaires du fait de sa décomposition rapide. Ou alors succomber devant cette ode à l’amour, une statue datant du IIIe siècle av. J.-C., du sud de l’Italie en terre cuite polychrome, qui représente Éros et Psyché, enlacés et rieurs, chez Kunsthandel Mieke Zilverberg (Amsterdam).
Du ii-iiie siècle, la galerie Rhéa (Zurich) propose une gracieuse Vénus avec un dauphin, statuette en marbre, qui, privée par le temps de bras et de dauphin, s’apparente dans son déhanchement à la Vénus de Milo. Quant aux peintures, elles rendent hommage aux portraits : celui de l’infante Isabella, fille du roi d’Espagne Philippe II par Jacob Jordaens chez Johnny van Haeften (Londres), qui présente par ailleurs une Portrait de la famille Twent en intérieur. Cette œuvre de 1633 signée Pieter Codde croque l’intimité d’une famille hollandaise, où chacun cesse ses activités pour sembler regarder le spectateur, à la manière, bien entendu anachronique, d’un instantané photographique. Rob Smeets (Milan) a sélectionné un portrait d’Euclide, du peintre baroque napolitain Luca Giordano, représenté en misérable comme il était d’usage de le faire au xviie siècle pour les érudits et philosophes de l’Antiquité. À découvrir chez Didier Aaron, le Portrait de jeune femme en allégorie de la Géographie d’Elisabeth-Sophie Chéron, femme peintre du xviie siècle, une caractéristique suffisamment rare pour être mentionnée, et qui fut reçue à l’Académie royale avec l’appui de Charles Le Brun en 1672. Hall & Knight (Londres) a apporté de Jean-Baptiste Greuze un Portrait de Denis Diderot, dont l’identification a été certifiée grâce à un dessin de Greuze et un portrait de 1767 de Louis-Michel van Loo conservé au Louvre.
Dans un autre genre pictural, chez de Jonckheere, une Nature morte aux fruits, verre de vin blanc et homard, datée de 1653 et signée Laurens Craen, est saisissante de réalisme associant une composition spatiale très élaborée aux messages moraux propres aux Vanités. Pour cette galerie, spécialisée en maîtres anciens du Nord, Maastricht reste incontestablement la foire la plus importante de l’année. Les admirateurs de paysages se délecteront chez Richard Green (Londres) d’une Vue panoramique de vallée avec Schloss Moyland. Cette toile de 1849, de Barend Cornelis Koekkoek, l’un des principaux représentants de l’école romantique néerlandaise, combine les caractéristiques de ce type de paysage : ciel orageux après la tempête, point de vue surélevé au premier plan et feu éloigné. Le galeriste propose encore un panneau circulaire de Lucas van Valckenborch I, datant des environs de 1570, sur la parabole de l’aveugle guidant l’aveugle, une métaphore de l’extravagance, de la sottise, provenant des Évangiles.
Au secteur art océanien et précolombien, on remarquera un masque Malekula chez Meyer-Oceanic que le galeriste qualifie de « probablement unique au monde par sa forme allongée et semi-ronde en haut, ses pommettes accentuées, son nez anormalement long et son menton pointu barbu » ou la déesse aztèque de l’eau Chalchiuhtlicue (celle à la jupe couleur jade, en référence aux profondeurs vertes de l’eau) chez Mermoz. 
Parmi les objets d’art, cette horloge automate de 1600, chez Kugel, de 46 centimètres, représente Le Char de Gambrinus, roi flamand qui fait honneur à la première bière brassée, et s’anime toutes les heures, permettant au visiteur de le contempler les yeux roulants, la langue tirée et le bras levé pour boire. Jacques Perrin a lui choisi un secrétaire d’époque Louis XVI de Charles-Joseph Dufour, marqueté de paysages et divers trophées, en placage de bois de rose, amarante, sycomore et bois fruitier.
Un psautier des environs de 1270-1280, qui aurait été créé dans l’évêché de Tournai, est exposé par Jörn Günther-Antiquariat (Hambourg). Si l’iconographique du calendrier des douze miniatures est proche d’autres manuscrits contemporains flamands ou du nord de la France, figurant les différents travaux propres à chaque mois de l’année, plus originale est la mise en page de ces représentations, cernées dans des panneaux aux formes irrégulières.
Sans oublier, la série des deux cent cinquante acerbes illustrations de Goya, parmi lesquelles une première impression complète des Caprices chez Kunsthandlung Rumbler (Francfort).
Enfin, le département Art moderne, créé en 1991 et qui faisait figure de parent pauvre à ses débuts, a dorénavant trouvé ses lettres de noblesse avec trente-cinq galeries de qualité. On y trouvera de 1912, une aquarelle intitulée Marie et Joseph signée Egon Schiele, dont il est inhabituel de savourer des sujets religieux, chez Richard Nagy (Londres). Fockink, N° 1, un collage de 1958 de Motherwell, chez Barbara Mathes (New York), rend hommage à l’influence qu’ont eue sur lui Schwitters et Picasso. Chez Gmurzynska (Cologne), une huile sur toile de Miró, Femme devant le soleil, de 1949 fait partie des « peintures spontanées », une série de trente et une œuvres exécutées en 1949-1950, à mettre en relation avec l’écriture automatique des surréalistes. Mouvement dont on verra l’un des protagonistes, Wifredo Lam chez Applicat-Prazan avec Le Corps et l’Âme de 1966.
Le visiteur ne pourra non plus résister au Portrait d’un ancêtre de Marx Ernst de 1974-1975, un bronze à patine verte à la galerie Thomas (Munich). Quant à la galerie Sperone Westwater (New York) « very excited », on ne pourra que partager son enthousiasme à participer pour la première fois à la foire avec une huile, acrylique et papier sur toile de Jean-Michel Basquiat, Parts, de 1984, ou encore cette figure arachnéenne de Frank Stella Konelly, un aluminium peint de 1998. Annely Juda Fine Art (Londres) propose une sculpture de Carl Andre Sulcus, de 1980, composée de huit unités en cèdre rouge et Jablonka (Cologne) des œuvres de Francesco Clemente dont Selfportrait et Portrait of Bill T. Jones de 2002.
Une section Art contemporain sera-t-elle créée dans les années à venir, et verra-t-on bientôt photos et vidéos à Maastricht, ce qui ne serait peut-être pas du goût de tout le monde... Cette édition 2003 démontre néanmoins qu’ouverture peut rimer avec exigence.

MAASTRICHT, MECC, tél. 31 411 64 50 90, 14-23 mars.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°545 du 1 mars 2003, avec le titre suivant : La Tefaf, l’excellence s’ouvre à la contemporanéité

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