Salomé, la femme fatale

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 avril 2003 - 385 mots

« Elle est presque nue ; dans l’ardeur de la danse, les voiles se sont défaits, les brocarts ont croulé ; elle n’est plus vêtue que de matières orfévrées et de minéraux lucides ; un gorgerin lui serre de même qu’un corselet la taille, et, ainsi qu’une agrafe superbe, un merveilleux joyau darde des éclairs dans la rainure de ses deux seins ; plus bas, aux hanches, une ceinture l’entoure, cache le haut de ses cuisses que bat une gigantesque pendeloque où coule une rivière d’escarboucles et d’émeraudes ; enfin, sur le corps resté nu, entre le gorgerin et la ceinture, le ventre bombe, creusé d’un nombril dont le trou semble un cachet gravé d’onyx, aux tons laiteux, aux teintes de rose d’ongle. » Somptueux, sensuel et terrible, le portrait de la veuve héroïque des Écritures que brosse à fleur de chaton Joris-Karl Huysmans dans son rutilant À rebours est d’une totale picturalité. Si on le trouve aussi bien dans un évangéliaire du XIIIe siècle que chez Masolino, le thème de la danse de Salomé rencontre un immense succès auprès des artistes à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Par-delà la décollation de saint Jean-Baptiste et la présentation de sa tête sur un plateau d’argent au roi Hérode après qu’elle a exécuté une danse pour lui, la figure de Salomé passe en cette période symboliste pour celle de la femme fatale, de la féminité maléfique et mortelle, tout à la fois fascinante et repoussante. Aussi les artistes ont-ils été légion à vouloir s’en saisir, pour tenter d’en approcher le mystère, certains qu’ils étaient de se confronter dès lors avec quelque chose d’un ordre supérieur. De Gustave Moreau à Picasso, en passant par Klimt, Mucha, Beardsley, Hansen et tant d’autres, les peintres ont rivalisé d’images toutes plus séduisantes les unes que les autres. L’exposition de la fondation Neumann en organise une passionnante confrontation qui fait de Salomé une héroïne aux multiples visages, tantôt folle, tantôt amoureuse, et aux poses tant lascives qu’acrobatiques, entre danse et décadence. À l’image somme toute d’une époque en mal de sacré et qui ne savait plus à quel saint se vouer, ni à quel dieu – voire à quelle déesse – remettre leur destinée.

GINGINS, fondation Neumann, tél. 00 41 (0)22 369 36 53, 13 février-11 mai.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°546 du 1 avril 2003, avec le titre suivant : Salomé, la femme fatale

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