Hardcore, l’art de résister

L'ŒIL

Le 1 avril 2003 - 899 mots

Dix-huit artistes et groupuscules d’artistes sont réunis pour leur radicalité au Palais de Tokyo. Clandestins, provocateurs, enragés, ces créateurs entrent en résistance face au système. Face à un contexte social, économique et politique qu’il considère « violent », Jérôme Sans a pris une initiative forte : rassembler des artistes aux origines et aux démarches extrêmement diverses sous une même bannière, celle de la résistance. Au contraire des avant-gardes du début du xxe siècle qui se regroupaient en mouvements ou en écoles, ces foyers de résistance s’avèrent aujourd’hui isolés. Il n’y a donc pas d’activisme collectif, mais une constellation d’inventions et d’interventions individuelles. « Notre monde est menacé à tout instant par une épée de Damoclès, explique Jérôme Sans, c’est un phénomène nouveau qui exige une vigilance permanente. » Cette vigilance, les artistes s’échinent à la promouvoir en « infiltrant la réalité » et en s’impliquant dans le « terrain de l’actualité » pour en « renvoyer l’expression d’une vérité crue ». Tel est le sens de « Hardcore ». Cette exposition est d’abord une réunion des différentes formes de l’engagement dans l’art contemporain. Il est alors intéressant de comparer les démarches adoptées, ce que facilite la scénographie très aérée de l’ensemble. En confrontant par exemple la démarche de la Taïwanaise Shu Lea Cheang avec celle du collectif américain Guerrilla Girls, on constate que la défense d’une même cause (le féminisme, en l’occurrence) s’appuie sur des cheminements artistiques opposés. Avec I.K.U, cyber-porno de
79 minutes, Shu Lea Cheang présente une œuvre très esthétisée qui recourt sans cesse à l’effet spécial. L’interrogation sur la sexualité et sur la condition de la femme passe par un travail de retouche vidéo. Dans le cas des Guerrilla Girls, il s’agit au contraire d’une utilisation de communiqués, d’informations, de slogans.
Leur activisme est avant tout fondé sur des discours proches de la propagande et non pas, comme chez Shu Lea Cheang, sur une déferlante d’images.
D’une manière générale, le cadre figé de l’exposition restreint les formes d’interventions des artistes invités. Conçue par la jeune Minerva Cuevas, la publicité de la firme Del Monntte détournée en dénonciation d’une entreprise criminelle est certes très efficace et fort bien mise en valeur. Mais elle reste classique et beaucoup moins subversive que ses distributions de faux papiers. Cette part-là de son travail n’est malheureusement pas représentée au Palais de Tokyo.
Une occasion manquée. Ce petit regret est cependant vite compensé par l’incroyable installation de Jota Castro : À ne pas faire à la maison. L’avertissement est à prendre au sérieux. Dans un espace sombre, semblable à la « planque » d’un gangster, l’artiste dévoile au public une somme colossale de documents concernant Nicolas Sarkozy : des photographies, des plans du ministère de l’Intérieur, des articles de presse, mais aussi ses adresses privées ou ses contacts personnels... Tout y est. Jusqu’au témoignage de sa concierge. L’objectif de Jota Castro est simple : organiser le kidnapping du ministre. Acte véritable d’activisme mettant en danger celui qui en est l’auteur, cette œuvre est aussi une réussite esthétique. L’accumulation obsessionnelle de détails scrupuleusement punaisés sur les murs est saisissante.
Mais quelle utopie se cache derrière ces différentes contestations ? L’activisme est une mise en œuvre d’actions subversives. Ces actions sont destinées à instituer de force un système jugé bénéfique voire idéal pour la communauté. Alors, vers quel idéal tendent ces luttes ? Voilà qui demeure presque sans réponse. Cet activisme est plus réactif qu’actif. Il ne propose pas d’espaces sociaux et politiques nouveaux, il se contente de mettre à mal ou de critiquer ceux qui existent déjà. À cet égard, la phrase de Henrik Plenge Jakobsen peinte sur une cible : « Everything is wrong » est éloquente.
C’est un « engagement contre », non un « engagement pour ». Certes, le collectif AAA Corp. présente de son côté une raffinerie écologique : cette installation permet d’obtenir de l’huile comestible utilisable dans un moteur Diesel à partir de graines de tournesol et de colza. Un projet constructif, mais isolé au milieu d’œuvres essentiellement contestataires.
Contestataires ? Oui, mais à des degrés divers. Tout en revendiquant un rôle de trouble-fête du système, l’entreprise suisse (c’est son statut officiel) etoy.CORPORATION « qui travaille aux frontières de l’art, de la politique et de l’économie » affirme : « Etoy fait partie du jeu. C’est un mensonge idéologique et/ou une ficelle marketing superflue de promouvoir l’idée que les artistes travaillent en dehors du système financier. » L’entreprise se contente de questionner et de réguler un système qu’elle ne remet pas en cause et dont elle paraît même s’accommoder. Preuve que la radicalité est parfois très consensuelle... Toutefois, en refusant de devenir les prophètes ou les bâtisseurs d’une société nouvelle, les artistes montrent qu’ils s’interrogent sur leurs propres limites et qu’ils ne sont pas dupes de leur pouvoir, forcément très relatif.
Le Palais de Tokyo a également mis en place un forum sur son site. Grâce à cette initiative, le public donne son avis sur sa visite.
Il peut aussi prendre contact avec les artistes et, le cas échéant, s’engager dans une action de résistance. Moteur d’un débat social, l’exposition devient ouverte et stimulante. À son propos, un internaute écrit simplement : « Hardcore ne signifie pas toujours horreur mais parfois bonheur. » Chacun en jugera sur place.

PARIS, Palais de Tokyo, 13 avenue du président Wilson, XVIe, tél. 01 47 23 38 86, www.palaisdetokyo.com, 27 février-18 mai.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°546 du 1 avril 2003, avec le titre suivant : Hardcore, l’art de résister

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