Thomas Ruff, rétrospective

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 mai 2003 - 351 mots

Parce que ses portraits grand format, saisis plein buste, dans une frontalité sans emphase, se sont imposés d’emblée au début des années 1980, dans le droit fil d’une tradition de la photographie objective, on cantonne trop souvent l’œuvre de l’artiste allemand Thomas Ruff, né en 1958, à ce seul type d’image. En réalité, sa production est beaucoup plus variée et l’artiste a décliné au cours des vingt années écoulées toutes sortes de séries d’une grande diversité thématique. Aux Portraits il convient d’ajouter en effet les Maisons, les Photos de journaux, les Étoiles, les Nus, autant de travaux qui relèvent tous à première vue d’un constat sobre et direct de la réalité. À la différence toutefois d’un couple d’artistes comme Bernd et Hilla Becher, à l’école desquels il doit irrésistiblement une manière de prise de vue distanciée, voire froide, il ne s’agit pas chez lui d’établir un quelconque inventaire de formes à partir d’un sujet défini. Le travail de Thomas Ruff se situe bien au-delà de la photographie elle-même dans l’emploi qu’il fait d’un matériel préexistant qui lui permet d’opérer comme en seconde main une perception décalée du réel. Il a ainsi tour à tour emprunté des images sur internet, réalisé des vues de ciel renvoyant à l’utilisation de techniques militaires pendant la guerre du Golfe, joué de savantes manipulations informatiques pour constituer des photomontages façon John Heartfield. Consacrée à une sorte de parcours rétrospectif de son œuvre, de 1979 à aujourd’hui, l’exposition de la Tate Liverpool met en évidence la force d’impact d’une production d’images qui sanctionnent l’importance de l’outil sur la forme et visent à faire voir comment « tout appareil [de prises de vues] est créateur de la réalité qu’il prétend dévoiler » (Astrid Wege). En ce sens, Thomas Ruff parle volontiers de ses œuvres comme de « documents de l’incroyance » pour ce qu’elles révèlent une dimension inédite du motif abordé. Réflexion sur le regard, sur le flux d’images auquel celui-ci est soumis et sur les conditions de leur perception par-delà leurs couleurs et leurs formes.

LIVERPOOL, Tate Liverpool, Albert Dock, tél. 0151 702 7400, 9 mai-6 juillet.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°547 du 1 mai 2003, avec le titre suivant : Thomas Ruff, rétrospective

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