Académisme et avant-garde

Par Jean-Christophe Castelain · L'ŒIL

Le 1 mai 2003 - 1043 mots

Pendant longtemps, l’histoire de l’art a eu une vision manichéenne de la production picturale de la fin du XIXe siècle et de la Belle Époque. Face à une peinture académique toute puissante symbolisée par les nus « porcelainisés » de Gérôme, la rébellion d’une poignée de peintres maudits, d’abord les impressionnistes (première exposition du groupe en 1874), puis les symbolistes (dans les années 1890) et enfin le triomphe de la modernité (fauvisme, cubisme, abstraction), jettera « les pompiers » dans l’oubli.
La réhabilitation des « petits maîtres » a débuté timidement un demi-siècle plus tard grâce à quelques travaux d’universitaires et des expositions thématiques (« Équivoques », Paris 1973) puis a franchi une étape majeure avec l’ouverture du musée d’Orsay en 1986. Cependant, en dehors de la rétrospective Bouguereau au Grand Palais en 1984, aucune grande exposition monographique n’est venue mettre en lumière ces peintres oubliés pourtant si appréciés à l’époque.

Le programme commun des musées du Nord
L’exposition Carolus-Duran au palais des Beaux-Arts de Lille prend ainsi plus d’importance, d’autant que les musées de Roubaix et de Tourcoing accompagnent cette initiative.
La rétrospective de Lille présente près de quatre-vingts œuvres parmi les quelque cinq cents produites par cet artiste si prolifique. Malgré le désir manifeste des organisateurs de montrer un
Carolus-Duran indépendant et novateur, la moitié des toiles exposées – des portraits –, le ramène dans la catégorie des peintres mondains. Mais cette peinture est-elle si déplorable ? Certes pas. Au-delà des postures d’apparat des modèles (ce sont des œuvres de commande), il faut apprécier la touche virtuose, le travail des étoffes, le choix des coloris.
Le superbe musée de Roubaix – La Piscine – rappelle le rôle de Carolus-Duran dans la création puis la direction de la Société nationale des beaux-arts et reconstitue un accrochage imaginaire du Salon, principale activité de la « Nationale ». Les œuvres sont choisies parmi celles exposées depuis la création de ce Salon dissident (1890) jusqu’à la fin de la présidence de Carolus-Duran en 1905. Un témoignage très utile pour reconstituer l’esprit d’une époque et dont l’ambition avouée est de montrer la perméabilité des œuvres de la Nationale aux influences de la modernité : la palette colorée des impressionnistes, l’étrangeté des symbolistes, la représentation de la vie moderne. Se côtoient ainsi Sisley, Puvis de Chavannes, Roll et Matisse. Une place importante est faite à la sculpture avec des œuvres de Camille Claudel et de Rodin, ainsi qu’aux arts décoratifs.
Mais le Salon de la Nationale ne peut être considéré comme le lieu du renouveau face au conservatisme du Salon « officiel », celui de la Société des artistes français. Il faut plutôt aller du côté du Salon des indépendants créé six ans auparavant et qui révéla le divisionnisme (Seurat, Signac) et plus tard le cubisme. Le Salon de la Nationale doit plutôt être perçu comme étant celui des peintres du « juste milieu » selon l’expression d’Albert Boime.
En revanche l’exposition de Tourcoing est moins convaincante. Ce qui, au départ, est une riche idée : montrer l’évolution des portraits mondains ou de célébrités, depuis Carolus-Duran jusqu’à de jeunes artistes contemporains, en passant par Andy Warhol, devient un exercice un peu artificiel.

La lente redécouverte des petits maîtres
La réhabilitation de la peinture des petits maîtres est en cours, mais le propos reste embarrassé. On cherche à les « sauver » en repérant en eux les marques de la modernité, en mettant en évidence leurs amitiés avec Manet et les impressionnistes, voire en essayant de leur trouver une quelconque influence sur les avant-gardes. Mais ne peut-on aussi apprécier cette peinture pour elle-même ?
Le terme d’académisme, synonyme d’assèchement, est bien commode mais il s’applique indistinctement et improprement à une production plus diverse qu’on ne croit. Dès les débuts de la IIIe République, le « grand art » promu par l’Académie, et qui désigne la peinture mythologique ou religieuse, a quasiment disparu des cimaises des salons, le style léché promu par l’École des beaux-arts et pratiqué par Bouguereau, Gérôme ou Bonnat est très critiqué par les chroniqueurs. Bien sûr subsiste toujours la peinture dite de salon, des scènes de genre mièvres, moralisatrices et anecdotiques. Mais une production majoritaire mérite d’être appréciée autrement : les paysages dans la tradition des peintres de Barbizon et renouvelés par l’impressionnisme, le naturalisme laïc, les portraits-témoignages, la vie urbaine. La multiplication des salons dans les années 1880-1900 les a paradoxalement affaiblis et leur a ôté leur rôle de reconnaissance artistique au profit des marchands. C’est ce qui se passe aujourd’hui. Antiquaires et galeristes multiplient les expositions « redécouvertes »(cf. Marché de l’art, pp. 8-11), mais les musées avancent lentement. L’initiative des musées de Lille, Roubaix et Tourcoing est d’autant plus méritoire.

Les expositions

- « Carolus-Duran rétrospective » LILLE, palais des Beaux-Arts, place de la République, tél. 03 20 06 78 00, tél. 03 20 06 78 17 (réservations). Du 9 mars au 9 juin, le lundi de 14 h à 18 h, les mercredi, jeudi, samedi et dimanche de 10 h à 18 h, fermé le 1er mai ; plein tarif : 5 euros, tarif réduit : 3,5 euros. TOULOUSE, musée des Augustins, 21 rue de Metz, tél. 05 61 22 21 82. Du 28 juin au 29 septembre, tous les jours sauf le mardi de 10 h à 18 h, mercredi jusqu’à 21 h. - « Face & Cie (Facéties), Carolus-Duran et compagnie. Hommage(s) à Carolus-Duran » TOURCOING, musée des Beaux-Arts,2 rue Paul Doumer, tél. 03 20 28 91 60. Du 10 mars au 9 juin, tous les jours, sauf le mardi et les jours fériés, de 13 h 30 à 18 h 00 ; tarif unique : 4,5 euros. - « Des amitiés modernes de Rodin à Matisse. Carolus-Duran et la Société nationale des beaux-arts de 1890 à 1905 » ROUBAIX, La Piscine, musée d’Art et d’Industrie André Diligent, 23 rue l’Espérance, tél. 03 20 69 23 60. Du 11 mars au 9 juin, du mardi au jeudi de 11 h à 18 h, vendredi de 11 h à 20 h, samedi et dimanche de 13 h à 18 h ; fermé le 1er mai et jeudi de l’Ascension ; plein tarif pour l’exposition : 3 euros, tarif réduit : 2 euros, billet jumelé (exposition et musée) : 5 euros et 3 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°547 du 1 mai 2003, avec le titre suivant : Académisme et avant-garde

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