Entre Galles et Italie : Thomas Jones

L'ŒIL

Le 1 juillet 2003 - 919 mots

Thomas Jones (1742-1803) n’est pas une redécouverte récente de l’histoire de l’art. C’est en effet il y a plus d’un demi-siècle, en 1954, qu’il s’imposa comme un des premiers maîtres du paysage sur nature, à l’égal d’un Pierre-Henri de Valenciennes, son contemporain, qui séjourna en même temps que lui en Italie (rien ne prouve, toutefois, qu’ils se soient rencontrés). Ses descendants avaient alors décidé de vendre une cinquantaine d’aquarelles et d’huiles représentant des paysages de sa région d’origine, le pays de Galles, ainsi, surtout, que des vues d’Italie où, entre Rome et Naples, il passa près de sept ans, entre 1776 et 1783 : des œuvres pour certaines étonnantes de modernité, en particulier une série de petites huiles sur papier, prises des divers logements ou ateliers qu’il occupa à Naples, dont le cadrage, le naturel et en même temps la virtuosité à rendre le ciel, la matière des murs ou la végétation attirent immanquablement le regard.
La réputation de Jones était faite : il prenait toute sa place comme un des précurseurs de Corot annonçant, en plein néoclassicisme, toutes les évolutions de la peinture de paysage en Europe au siècle suivant. Immédiatement achetées par diverses collections publiques britanniques ou des amateurs anglo-saxons en vue, elles révélèrent un artiste dont, par ailleurs, les Mémoires venaient d’être édités. Jones n’était donc plus un inconnu.
L’exposition que lui consacre cet été le National Museum and Gallery de Cardiff, reprise ensuite à la Whitworth Art Gallery de Manchester (une version réduite aux seules années italiennes en sera présentée cet automne à Londres) est l’occasion de découvrir l’artiste dans toute sa carrière, avant cette courte période à laquelle on le résume depuis un demi-siècle.
Il faut saluer l’effort du musée organisateur, quelque peu teinté de nationalisme (le catalogue est disponible en deux versions, anglaise et galloise, tous les panneaux étant également bilingues). En réalité, si Jones est originaire du Pays de Galles, où il commença et finit confortablement sa vie, sa carrière d’artiste est typique de celle d’un peintre britannique de son temps : élève du grand paysagiste Richard Wilson (un autre Gallois ayant connu le succès dans la capitale du Royaume-Uni), il tente de s’imposer, comme son maître, par des paysages composés, à l’image de leur contemporain, le Français Joseph Vernet, ceux-ci ayant parfois pour prétexte des sujets classiques, dans la lignée notamment de Claude Lorrain, tant aimé et admiré outre-Manche.  L’exposition présente le chef-d’œuvre de Jones en la matière, une étonnante Tempête avec l’histoire de Didon et Énée (1769) venue de Saint-Pétersbourg, ainsi que, réunis pour la première fois dans une institution publique, les deux grands paysages italiens commandés par un des mécènes les plus curieux de l’époque, le comte de Bristol qui était aussi l’évêque de Derry : Le Lac d’Albano (1777) et Le Lac de Nemi (1782). Avec quelques autres toiles de moyen ou de grand format dont le préromantique Barde de 1774, ils scandent la carrière publique de Jones. Celui-ci était avant tout un paysagiste (les figures de Didon et Énée sont ainsi de son ami et camarade d’atelier, John Hamilton Mortimer), et l’essentiel de l’exposition est constitué aussi bien de ses dessins ou aquarelles exécutés sur le motif que des huiles sur papier, sur carton ou sur toile qu’il en tira, parfois bien des années plus tard (les carnets bénéficiant d’une intelligente présentation par bornes informatiques qui, à côté des originaux sous vitrine, permettent de les « feuilleter » sur écran). Tout ceci, il faut bien le dire, est moins surprenant que le cœur de l’exposition, les fameuses œuvres italiennes. Auparavant Jones, cadet de la gentry terrienne et comme tel contraint de gagner sa vie, après une excellente éducation (il fréquenta Oxford) qui le singularise en plus de ses origines sociales parmi les artistes de son temps, est un paysagiste qui tente de percer à la suite de Wilson. Son séjour en Italie s’inscrit dans la même démarche.
Il en revint rappelé par la mort de son père ; celle de son frère aîné, quatre ans après son retour, met un terme définitif à sa carrière publique en faisant de lui un riche propriétaire. Cela ne l’empêche pas pour autant de continuer à dessiner ou à peindre, mais comme un amateur, non comme un professionnel. Le plus curieux est que cette liberté ne se retrouve pas dans sa production, qui n’aura jamais la force des œuvres napolitaines. On aurait tort néanmoins d’en retirer uniquement la vision d’un artiste secondaire qui, pendant un court moment, se hisse au niveau des plus grands. L’ensemble réuni à Cardiff permet en effet de comprendre combien la peinture de paysage du XIXe siècle s’ancre, y compris par sa pratique, dans la tradition de celle du XVIIIe, fût-elle éminemment classique dans son sujet. Et ses aspects trop convenus sont contrebalancés par une certaine naïveté, jusque dans le détail : un tableau qu’il exécuta pour un ami de ses parents comporte ainsi au premier plan un arrosoir, et c’est la première fois, semble-t-il dans l’histoire de la peinture, qu’un tel accessoire de jardin est ainsi représenté... Charme du sujet, la nature, charme aussi du style jusque dans ses maladresses, charme tout britannique aux yeux du spectateur français habitué à considérer le XVIIIe siècle dans la seule perspective nationale, de Watteau à David, de Chardin à Vernet, de Boucher à Fragonard. Il faut redécouvrir, et voir ou revoir Jones.

« Thomas Jones 1742-1803 : an artist rediscovered », CARDIFF (ÉCOSSE), National Museum and Gallery, Cathays Park, tél. 029 20 39 79 51, www.nmgw.ac.uk, 21 mai-10 août.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°549 du 1 juillet 2003, avec le titre suivant : Entre Galles et Italie : Thomas Jones

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