L’esquisse en terre, de Pigalle à Canova

L'ŒIL

Le 1 septembre 2003 - 725 mots

Si le goût pour la sculpture en terre cuite s’affirme en France vers le milieu du XVIIIe siècle, le modelage en terre appartient à une longue tradition qui remonte à la Renaissance. Liée au travail créateur de l’artiste, cette pratique devient à la mode et les modelages sont alors recherchés par les collectionneurs. Une exposition à ne pas manquer au Louvre.

Alors que les sculpteurs du Moyen Âge pratiquaient la taille directe, la perfection de l’ouvrage se confondant avec celle de l’exécution, les artistes de la Renaissance distinguent quant à eux la part primordiale de l’invention artistique, et la part artisanale de l’exécution. Le modelage du bozzeto, que le sculpteur Lorenzo Ghiberti définit comme « le dessin du statuaire », permet de réaliser rapidement l’idée de l’œuvre et de la soumettre à son commanditaire avant l’exécution proprement dite. Celle-ci nécessite la création d’une seconde maquette en terre, au format réel, d’après laquelle l’œuvre sera exécutée par des praticiens, dans le matériau définitif, l’artiste intervenant à nouveau dans la phase finale, pour la définition exacte de la surface et des détails.
La pratique généralisée du modelage en terre (ou parfois en cire), qui offre une grande liberté à l’artiste, influe profondément sur l’évolution de la sculpture, l’engageant dans la recherche d’une plasticité toujours plus grande qui culmine avec la statuaire maniériste, puis baroque. La terre reste cependant assimilée à une fonction utilitaire (une étape du travail) et ne peut rivaliser avec les matériaux nobles, marbre, bronze, qui sont ceux de l’œuvre définitive. Mais la terre est si intimement liée au travail créateur de l’artiste, à sa pensée et à ses recherches, que bientôt ces esquisses et ces maquettes seront recherchées par les collectionneurs, au même titre que les dessins ou esquisses des peintres.
C’est vers le milieu du XVIIIe siècle que se produit de façon bien marquée cette évolution du goût. On apprécie alors les qualités de primesaut et de fraîcheur auxquelles la sculpture en terre cuite se prête naturellement. Le grand amateur d’art La Live de Jully écrit en 1764 : « Ces modèles ont souvent plus d’avantages que les marbres parce que l’on y trouve bien mieux le feu et le véritable talent de l’artiste. » Au XXe siècle, un autre grand collectionneur et marchand d’art, Paul Cailleux, déclare à son tour : « Ce qui m’a toujours attiré dans ces maquettes, c’est avant tout le contact direct avec l’artiste, avec ses doigts. La terre cuite en conserve parfois les empreintes. On suit le chemin de la création, dans ses hésitations mêmes. Il est passionnant de voir ceux qui délimitent leurs œuvres par grandes masses, ceux qui recreusent à l’ébauchoir, ceux qui – au contraire – créent les formes en ajoutant boulette après boulette de terre humide. Tous leurs tempéraments se marquent ainsi. » Mais ce goût pour les petits modèles s’étend aussi aux œuvres achevées en terre cuite. Ce qui explique le succès d’un Clodion, le « Fragonard de la terre cuite », dont les groupes mythologiques, d’un érotisme impétueux et limpide, confèrent à ce matériau ses définitives lettres de noblesse.
L’exposition du Louvre, en grande partie centrée sur le courant néoclassique, risque bien de renouveler notre perception de ce mouvement. Rien n’est plus éloigné des marbres glacés de Canova, Thorwaldsen ou Sergel, que leurs esquisses en terre. On y trouve pourtant le même sentiment de la forme, mais vibrant, le même idéal artistique, mais dans son expression la plus sensible. La référence à la statuaire antique devient un dialogue ému. Ces esquisses et ces modèles nous inciteront peut-être à rechercher le feu dans leurs marbres.

L'exposition

Elle présente 130 œuvres et est organisée par le musée du Louvre et la Réunion des musées nationaux, le National Museum de Stockholm et le Metropolitan Museum of Art de New York, qui l'accueilleront ultérieurement. « L’esprit créateur de Pigalle à Canova. Terres cuites européennes 1740-1840 », sera présentée du 19 septembre au 5 janvier 2004, tous les jours sauf le mardi de 9 h à 17 h 30, le lundi et le mercredi jusqu’à 21 h 30. Tarif (pour les collections permanentes et les expositions temporaires) : 7,5 euros de 9 h à 15 h ; 5 euros après 15 h et le dimanche. PARIS, musée du Louvre, hall Napoléon, Ier, tél. 01 40 20 51 51 (serveur vocal), 01 40 20 50 50 (standard), www.louvre.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°550 du 1 septembre 2003, avec le titre suivant : L’esquisse en terre, de Pigalle à Canova

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