Biennale de Lyon

Rendre à l’œuvre sa présence

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 septembre 2003 - 1094 mots

Pour sa septième édition, la Biennale de Lyon choisit de s’exposer à l’automne à partir d’un lieu central, La Sucrière, un magnifique bâtiment des années 1930 réhabilité pour l’occasion, et de rayonner dans quatre lieux institutionnels en ville et en périphérie. Le Consortium assure cette année le commissariat de la Biennale autour de l’idée d’œuvre.

Intitulée « L’Amour de l’art », la première Biennale d’art contemporain de Lyon inaugurait en 1991 la périodicité d’une manifestation qui s’est très vite imposée sur la scène artistique internationale. D’un numéro à l’autre, Thierry Raspail et Thierry Prat – qui en sont les directeurs artistiques – en ont confié par la suite le commissariat à des personnalités extérieures comme Marc Dachy, Harald Szeemann ou Jean-Hubert Martin. Le cru 2003 revient au Consortium, le centre d’art contemporain installé à Dijon, et à ses trois directeurs : Xavier Douroux, Franck Gautherot et Éric Troncy. Un choix judicieux que justifie la singularité du statut de cette institution, la diversité de ses entreprises mais surtout sa « remarquable expérience de l’exposition » conduite en collectif depuis plus de vingt ans. À preuve, l’invitation que ces derniers ont adressée à Robert Nickas de New York et Anne Pontégnie de Bruxelles de s’associer à eux pour conduire le nouveau cru de cette biennale lyonnaise.
Le choix qu’ont fait directeurs artistiques et commissaires de mettre en exergue le fait que celle-ci a toujours « opté pour l’exposition contre l’exhibition » (Th. Raspail) signale un parti pris clairement appuyé. C’est une tradition de cette manifestation en effet de vouloir faire de chaque biennale une exposition, au sens le plus fort du terme, c’est-à-dire de mettre au centre « non l’exhibé mais l’œuvre » (Th. R.). Si, dans le contexte d’une actualité volontiers réglée par le spectaculaire et confortée par le principe de massification artistique, cette attitude peut paraître en total décalage, voire réactionnaire, elle se veut surtout réactive. Dans cette intention, le septième numéro de la Biennale de Lyon s’applique à donner la priorité au déploiement des œuvres et à leur réception. « Il ne peut pas y avoir d’art sans qu’il y ait présence d’œuvres et cette présence passe par le visuel, la forme et la relation au
spectateur », précise Xavier Douroux. L’idée serait-elle de rendre à l’œuvre sa présence – voire de la sauver ? –, on ne le dirait pas autrement. Le fait que les œuvres retenues l’aient été pour leur pouvoir d’énonciation, leur capacité à créer l’étonnement et leur insistance à préserver la singularité de l’événement, menacée par l’indifférenciation, en est d’ailleurs l’illustration. L’idée des commissaires de cette nouvelle biennale est de transformer une telle manifestation en une « exposition à part entière », non en misant sur un devenir toujours imprévisible mais bien plus en faisant l’expérience ici et maintenant – et « un petit peu demain » (X. D.) – des œuvres produites par les artistes. Hormis les notions de présence et d’expérience, aucun critère particulier n’a gouverné le choix de celles qui ont été retenues, sinon que les choix des uns et des autres ont trouvé moyen de devenir des choix collectifs.

Modifier un avenir programmé
Emprunté au film de René Clair, « C’est arrivé demain », l’intitulé de la septième édition de la Biennale de Lyon, s’il insiste sur le télescopage des temporalités, ne vise pas pour autant à anticiper les investigations créatrices des artistes qui pourraient animer le futur. Il n’a rien à voir avec celui de Richard Hamilton, « This is tomorrow », qui servit de manifeste à l’exposition culte de la Whitechapel Gallery à Londres, en 1956, et il n’est, à l’instar de celui-ci, l’expression d’aucune critique sur ce que sera le monde demain. « Nous nous sommes dit, commente Xavier Douroux, qu’aujourd’hui on peut encore influer sur les choses. Ce que l’on veut, ce n’est pas parler de ce que sera l’effet produit par quelque chose à venir mais c’est vérifier que les effets produits par des choses que l’on connaît sont pertinents. » La référence au cinéma n’est évidemment pas innocente. Elle se justifie par le fait qu’il est un des lieux qui permet encore à l’imaginaire de s’exprimer et qu’il lui offre une forme de récit encore possible. S’il s’agit de « donner le sentiment d’un récit à venir », l’idée est toutefois de le proposer dans l’immédiat pour ce que l’on peut « modifier encore l’avenir qui nous est programmé ».
Soucieuse d’effets de pertinence, la Biennale de Lyon 2003 rassemble les œuvres d’artistes de générations et d’horizons divers et variés à même de pouvoir tisser toutes sortes de liens entre elles. Elle entremêle ainsi diverses propositions : des invitations spécifiques qui seront l’occasion de retrouver des artistes comme Bertrand Lavier, Yayoi Kusama, Jorge Pardo, Lily van der Stokker ou Ed Ruscha, qui se fait toujours trop rare ; des séquences monographiques, comme celles consacrées à Larry Clark, très importante, à Olivier Mosset ou Robert Grosvenor ; la représentation d’œuvres existantes, ainsi Upside Down Mushroom Room de Carsten Höller ou de L’Expédition scintillante : Light Show n° 2 de Pierre Huyghe ; des projets inédits, comme celui hyperréaliste de Xavier Veilhan ou un film de Rodney Graham ; enfin des œuvres récentes, parmi lesquelles il ne faudra pas manquer celles de Giuseppe Gabellone, de Tim Head, de Didier Marcel et de Claude Lévêque.
L’objectif de la biennale procède notamment d’un processus de remise dans le monde d’aujourd'hui de différents travaux d’artistes qui travaillent plus sur le temps que sur l’espace et qui accordent une relative importance dans leur démarche à certaines formes de partage et de sociabilité. Si elle ne revendique ni vraiment un thème, ni un concept, elle s’appuie sur l’idée – certes entendue mais par trop oubliée – que, derrière la forme, l’œuvre est à même de générer du sens. Telle attitude vise très clairement à sanctionner tant le trop-plein d’objets de la création artistique contemporaine que son inévitable corollaire, la perte du sens. Dans le maelström des grandes manifestations du genre, foires comprises, la Biennale de Lyon 2003 se veut ainsi l’arbitre d’un moment et a choisi de sortir un carton. Jaune ? Rouge ? À chacun sa couleur.

L'exposition

« 7e Biennale d’art contemporain de Lyon », LYON (69), La Sucrière, port Rambaud, IIe ; musée d’Art contemporain de Lyon, 81 cité internationale, quai Charles de Gaulle, VIe ; musée des Beaux-Arts, palais Saint-Pierre , 20 place des Terreaux, Ier ; Le Rectangle, place Bellecour, IIe ; VILLEURBANNE (69), institut d’art contemporain, 11 rue du docteur Dolard. Tél. 04 72 41 73 47. 18 sept.-4 janv. 2004.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°550 du 1 septembre 2003, avec le titre suivant : Biennale de Lyon

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