Alors, la Chine ? Eh bien, la voilà !

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 septembre 2003 - 769 mots

C’était dans les années 1960. À la une d’un quotidien, l’humoriste de service n’avait pas manqué d’épingler le narcissisme du Général. Sous la silhouette, bras tendus en V, de celui-ci, il avait écrit : « 800 millions de Chinois ne peuvent ne pas connaître De Gaulle ! » La curiosité de l’Occident pour la Chine n’est pas nouvelle mais elle a connu dans les dernières décennies du siècle une accélération sans pareil. Tour à tour publiés en 1973, puis en 1974, les ouvrages d’Alain Peyrefitte, Quand la Chine s’éveillera..., et de Roland Barthes, Alors, la Chine ?, y ont notamment contribué chacun à leur façon. L’ouverture de la Chine au libre marché, son implication dans les grands raouts politiques et les grandes manifestations culturelles et sportives, l’intérêt croissant du tourisme occidental à son égard, tout justifie qu’on puisse enfin trouver une réponse illustrée à la question posée par Barthes.
C’est d’ailleurs celle-ci que le centre Pompidou a choisi pour titre de l’exposition qu’elle organise dans
le cadre de « L’année de la Chine en France » orchestrée par l’AFAA.
Si, d’emblée, le visiteur risque d’être perturbé par une scénographie qui a délibérément choisi de faire fi de tout cloisonnement, donc de faire se télescoper les œuvres présentées, celui qui est allé en Chine ne sera nullement dépaysé. La façon dont l’exposition de Beaubourg plonge le spectateur dans une sorte de maelström visuel est parfaitement en phase avec le propos. De même que l’invitation à s’asseoir au ras du sol sur de petits tabourets un peu raides, pour regarder ici une vidéo, contempler là un tableau, l’oblige à une posture tout à fait pertinente au regard des modes du pays. Sans chercher nullement à être exhaustive, l’exposition « Alors, la Chine ? » propose ainsi de nous projeter dans le vif d’une création polymorphe et profuse qui cultive tradition et modernité. Si l’accent y est mis sur les arts plastiques, toutes expressions confondues, elle s’applique aussi à faire valoir ce qu’il en est dans les domaines du cinéma, de l’architecture et de la musique.
Plus que toute autre proposition plastique, ce qui frappe d’emblée, c’est la puissance dominante de l’image filmée. En ce domaine, il apparaît que les Chinois tiennent le haut du pavé. La façon par exemple qu’ont des artistes comme Jia Zhangke ou Ning Ying de se saisir d’images du quotidien dépasse toute convention et leur capacité à le mythifier est inédite. Sur un autre mode, les comédies musicales de Wang Jianwei, les poules picorant de Yang Zhenzhong et la bande de délurés de Yang Fudong ne manquent ni d’humour, ni d’ironie. À l’instar des animaux ballonnés de Yang Maoyuan, des lapins-canards de Yu Xiao, des figures féminines lascives en céramique de Liu Jianhua, des bonsaïs mangeables de Song Dong ou bien encore des objets en caramel de Shi Jinsong, expression des désirs matériels des Chinois d’aujourd’hui.
Si l’exposition ouvre sur une œuvre interactive façon GameBoy de Feng Mengbo, sanctionnant par là l’adhésion des artistes aux nouvelles technologies, on n’y trouve pas moins différents types de peintures. Liu Xiaodong multiplie ainsi les sujets du quotidien sur le mode hyperréaliste, Lu Qing quête après une forme d’absolu en effectuant un travail obsessionnel et minimal, Fang Lijun réalise de monumentales gravures sur bois au motif répété d’une tête chauve et au visage déformé par l’ennui, enfin Guangyi Wang joue des effets de la société de consommation sur la culture chinoise. Bref tout un panel de thèmes qui placent l’art chinois en plein cœur d’un débat sur la question des modèles.
Parmi eux, celui de la ville, sinon de l’urbain, est l’un des plus récurrents au point que « les transformations rapides et radicales qui traversent la Chine s’inscrivent dans toute l’immensité de son territoire, multipliant un réseau de “villes-mondes” qui entraîne une (r)évolution sans précédent » (Chantal Béret). C’est du moins ce que montre à juste titre l’exposition dans tout un dispositif de projections – diaporama et films – qui rend parfaitement compte de l’incroyable développement des mégapoles et de l’intérêt des artistes pour l’architecture. C’est aussi ce que montre la colossale maquette de Lu Hao, intitulée Pékin vous souhaite la bienvenue, reproduisant fidèlement la ville sur quelque cinquante mètres carrés avec ses monuments symboliques, à ceci près que les vieux quartiers sont figurés à une échelle bien supérieure comme pour accentuer leur importance relative, alors même qu’ils sont en voie de disparition. « Alors, la Chine ? », entre tradition et modernité, entre célébration et contestation.

« Alors la Chine ? », PARIS, centre Pompidou, IVe, galerie Sud, niveau 1, tél. 01 44 78 12 33, 25 juin-13 octobre.

Le catalogue

Complément indispensable de l’exposition, le catalogue que publie le centre Pompidou se présente tout à la fois comme un livre d’images et un recueil d’essais, d’articles scientifiques et d’extraits littéraires. Trois séquences le structurent : la première, « Impressions », propose un regard rétrospectif sur la création artistique chinoise au XXe siècle ; la deuxième, « Architectures », analyse l’essor du phénomène urbain et le nouveau type de société qui en est le corollaire ; la troisième, enfin, intitulée « Artistes », dresse une chronologie des événements qui, de 1976 à 2003, ont animé la scène chinoise et constitue un dossier très complet sur les différents aspects de la situation artistique contemporaine. Par la qualité de sa documentation, la densité de ses textes et l’abondance de son illustration, le catalogue Alors, la Chine ? s’impose comme « la » référence éditoriale sur le sujet. - Alors, la Chine ?, textes de 42 auteurs chinois et occidentaux, éditions du centre Pompidou, 448 p., 650 ill., 42 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°550 du 1 septembre 2003, avec le titre suivant : Alors, la Chine ? Eh bien, la voilà !

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque