Fonds patrimoniaux : secret défense ?

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 1 octobre 2003 - 1415 mots

Lentement mais sûrement, le public français a fini par se familiariser avec la présence de la photographie dans les Musées nationaux. Alors que l’art contemporain intègre cette pratique tout azimut depuis une bonne dizaine d’années, les collections patrimoniales peinent encore à se rendre visibles. Remisés dans les réserves ou partiellement dévoilés dans des espaces marginaux, des millions de documents photographiques restent cantonnés au nomadisme ou aux seconds rôles. Soixante-douze mille autochromes réalisés entre 1910 et 1930 sont ainsi pieusement conservés au musée Albert Kahn à Boulogne-Billancourt. La BNF, le Musée national d’art moderne, la Société française de photographie, la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, le musée Carnavalet ou la Bibliothèque historique de la Ville de Paris riches de fonds vertigineux n’en diffusent que quelques exemples, préférant réserver leur accès aux chercheurs. Pourtant ces dernières années tendent à combler ce retard. En témoignent les galeries photographiques de la BNF et du musée d’Orsay nouvellement ouvertes, les lieux plus discrets tels que le musée Nicéphore Niépce, le musée Ingres à Montauban, sortant lentement de l’anonymat et relayant l’enthousiasme latent du public français pour la photographie documentaire et patrimoniale. Mais c’est encore bien peu. Qui connaît aujourd’hui le centre photographique de Douchy-les-Mines ou d’Île-de-France, les fonds quasi clandestins de l’École nationale des beaux-arts, du Fonds national d’art contemporain ou du Musée national de la marine ? Sacrifiée sur l’autel de la photo d’art et limitée par des contraintes de conservation, la photographie patrimoniale souffre par ailleurs du manque de relais éditoriaux (revues spécialisées, publications, catalogues raisonnés). On attend décidément beaucoup du prochain centre dédié à l’image et confié à Régis Durand dès 2004. Pour qu’enfin les institutions françaises reconquièrent une histoire de la
photographie, et réconcilient patrimoine photographique et image contemporaine.

Pointue et audacieuse : la MEP
- Contenu : Sur les 15 000 œuvres rassemblées depuis sa création au début des années 1980, celle qu’on appelle la MEP se passionne pour la création photographique internationale depuis la fin des années 1950 (Penn, Koudelka, Plossu) jusqu’à ses formes les plus contemporaines (Parr, Boltanski). Du photoreportage (Salgado) aux arts plastiques (Clark), de la photo de mode (Newton) aux images icônes de Robert Frank et Henri Cartier-Bresson, la collection s’est enrichie de nombreuses donations (Boubat, Jim Dine, Jeanloup Sieff ...), d’un fonds Polaroid de plus de 1 500 pièces, d’un dépôt de la fondation NSM Vie depuis 1999 spécialisé en jeune création et d’un très particulier fonds japonais de 400 spécimens enrichi chaque année par la société DaiNippon d’œuvres d’Araki, Morimura ou Shibata.
- Diffusion : La MEP démultiplie les niveaux et les recoins pour déployer régulièrement ses trésors. Depuis quelques années, elle a compris l’avenir numérique de la photographique et accueille dans ses murs le festival Art Outsiders durant tout le mois d’octobre.
- Maison européenne de la photographie, 5/7 rue Fourcy 75004 Paris, tél. 01 44 78 75 00. www.mep-fr.org

Discret mais précurseur : le musée Réattu
- Contenu : Ce discret établissement fut le premier musée français à ouvrir ses collections à la photographie non documentaire dès 1965. Elles rassemblent des ensembles d’images de photographes prestigieux des années 1920, d’Edward Weston à Dora Maar, de Germaine Krull à Man Ray et grâce aux Rencontres d’Arles, elles se sont enrichies des œuvres des prestigieux visiteurs de passage. Ansel Adams, Keiji Tahara comme Jean-Pierre Sudre, invité au festival en 1970 et aujourd’hui honoré par le musée, se disputent les grâces de ce fonds hors pair. Celui-ci est désormais constitué de plus de 4 000 œuvres.
- Diffusion : Le musée installé dans le grand prieuré de Malte explore volontiers son fabuleux fonds durant les Rencontres d’Arles mais aussi hors saison. Le très bel ouvrage qu’Actes Sud a consacré à cette collection est un modèle du genre (Arles et la photographie, portrait d’une collection) et en dit long sur ce fabuleux destin.
- Musée Réattu, 10 rue du Grand Prieuré 13200 Arles, tél. 04 90 49 37 58.

Thématique : le fonds photographique du Musée national de la marine
- Contenu : Pas moins de 40 000 documents ont pris leurs quartiers dans cette centrale documentaire voulue dès 1943, redécouverte et exploitée depuis une dizaine d’années seulement. Daguerréotypes, vues stéréoscopiques, épreuves albuminées du xixe siècle (construction du canal de Suez, ensemble du Second Empire, histoire du chantier naval de Brest) disputent la vedette aux tirages d’artistes contemporains comme ceux de Patrick Tourneboeuf du collectif  Tendance Floue ou ceux de Gilles
Coulon. De simple fonds d’illustration statique, la collection est passée ces dernières années en véritable fonds actif, régulièrement enrichi depuis 1994, et patiemment restauré ; il est ainsi pleinement vivant.
- Diffusion : Une telle renaissance passe évidemment par l’exposition de tels trésors pour eux-mêmes et non plus comme simples compléments documentaires. La Biennale internationale de la photographie marine entretiendra cette passion pour la troisième fois en 2004 mais plus régulièrement, le musée dévoile aussi quelques-unes des 20 000 plaques de verre qu’il possède.
- Musée national de la marine, palais de Chaillot 75116 Paris, tél. 01 53 69 69 69 www.musee-marine.fr

Élégant et rare : le fonds photographique du musée d’Orsay
- Contenu : Créée ex nihilo en 1979, la collection photographique du musée d’Orsay s’enorgueillit désormais de quelque 50 000 images, épreuves, négatifs et albums, de l’invention officielle du médium en 1839, à l’aube de la modernité photographique dans les années 1920. Accueillant principalement les fleurons de la photographie française (Nadar, Le Gray, Nègre...), la collection abrite également un remarquable éventail de pionniers anglo-saxons, parmi lesquels les pictorialistes Haviland, Stieglitz ou Steichen et une substantielle sélection de clichés anonymes, témoignant par là de la course effrénée aux innovations techniques et formelles développée en ce premier siècle de photographie.
- Diffusion : En octobre 2002 s’est enfin ouverte la galerie permanente consacrée à la précieuse collection. Pour des raisons de conservation, le fonds se savoure au compte-gouttes, au rythme de trois expositions thématiques par an. Du 11 novembre au 15 février 2004, la galerie dévoilera ainsi une sélection de daguerréotypes et instantanés comme autant d’icônes de l’intimité bourgeoise de la fin du XIXe siècle, à partager avec la famille Millet, Terrasse ou Vaudoyer.
- Musée d’Orsay, galerie photographique, quai Anatole France, 75007 Paris, tél. 01 40 49 48 55, www.musee-orsay.fr

Aux origines de l’histoire de la photographie : Le musée Nicéphore Niépce
- Contenu : Avant que les institutions publiques n’amorcent leur récent effort de promotion et de diffusion du patrimoine photographique français, le musée Niépce fit longtemps office de refuge unique et inespéré pour chercheurs, pratiquants ou amateurs éclairés du médium et de son histoire. Ouvert en 1972, il doit son développement à la collection Niépce, rassemblant depuis 1861 les appareils et objets personnels du célèbre natif de Chalon. Depuis, la collection s’est sérieusement étoffée, tant en histoire des techniques qu’en images (plus de 2 millions). Parmi elles, on compte quelques raretés, daguerréotypes, calotypes, mais surtout une remarquable collection de pionniers de la photographie soviétique (Rodtchenko, Chaguine, Sterenberg...), une copieuse représentation de Kollar, Krull, Lartigue, Steichen et quelques autres, et ose même un éventail substantiel de productions contemporaines (Ange Leccia, Philippe Bazin, Patrick Tosani...)
- Diffusion : L’une des missions centrales du musée consistant évidemment en la diffusion de ses collections, parallèlement aux galeries permanentes, les expositions temporaires se succèdent, voyagent souvent, et se doublent de nombreuses publications.
- Musée Nicéphore Niépce, 28 quai des Messageries, 71100 Chalon-sur-Saône, tél. 03 85 48 41 98, www.museeniepce.com

Systématique : le fonds de la Bibliothèque nationale de France
- Contenu : Le département des estampes et de la photographie de la BNF conserve la plus vertigineuse collection d’images jamais collectée au monde, au gré des dons, acquisitions et dépôt légal : pas loin de 4 millions de photographies recueillies depuis les balbutiements du procédé. Et la collection grandit encore, fidèle à sa vocation de recensement de la production contemporaine française, sans pour autant négliger les apports étrangers. Sans sélection préalable, fonds Nadar, Disdéri, clichés de Cartier-Bresson, Friedlander, Doisneau, fonds d’agences de presse, archives de journaux s’associent aux collections de la Société française de photographie, classées Monuments historiques, consacrées surtout aux débuts de la photographie et abritées depuis 1994 par la BNF.
- Diffusion : L’accès au trésor reste évidemment parcellaire et bien souvent réservé aux chercheurs accrédités, mais l’ouverture en 2003 de la galerie Mansart tend progressivement à remédier à la clandestinité du fonds sous forme d’expositions temporaires de photographies anciennes, modernes et contemporaines.
- BNF, bibliothèque Richelieu, galerie Mansart, 58 rue de Richelieu, 75002 Paris, tél. 01 53 79 83 80, www.bnf.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°551 du 1 octobre 2003, avec le titre suivant : Fonds patrimoniaux : secret défense ?

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