Du nouveau à Camondo

L'ŒIL

Le 1 décembre 2003 - 877 mots

Loin de l’image d’un lieu endormi, comme recroquevillé dans les limbes du deuil fondateur – la mort héroïque du lieutenant Nissim, la vieillesse isolée de Moïse, la tragédie de Béatrice et des siens –, le musée Nissim de Camondo n’a eu de cesse de s’adapter et de se rénover dans le plus strict respect des dispositions testamentaires de Moïse. Gageure pour ceux qui se sont succédé à sa tête, car ces dispositions représentent à la fois les contraintes et les garanties mêmes de la conservation des collections – aucune œuvre ne peut être ajoutée aux collections, par ailleurs inamovibles et interdites de prêt. Dans les années 1980, le musée connaît une vaste campagne de restauration, assurée par l’État pour le clos et le couvert. Pour le décor intérieur et les collections, le financement est alors assuré par l’Union centrale des Arts décoratifs, relayée par l’action déterminante et généreuse d’un mécénat symbolisé par la création du « comité pour Camondo », réunissant collectionneurs, amateurs et antiquaires français et étrangers, principalement américains, mobilisés dans un même élan pour la sauvegarde du musée, sollicitant l’appui de leurs pairs et d’entreprises (multi)nationales.
Abandonné à son sort, le jardin dessiné par Duchêne est replanté dans les années 1985-1990. Progressivement, les façades retrouvent leur splendeur passée ; à l’intérieur les boiseries sont restaurées et les rideaux retissés à l’identique. À la suite de cette première phase de travaux qui a marqué les esprits par le travail accompli, l’Union centrale des Arts décoratifs s’est attachée, depuis 1995, à éclairer un autre aspect du lieu, longtemps négligé : le fonctionnement d’un hôtel particulier de la première moitié du xxe siècle. Décision d’autant plus légitime que l’hôtel Camondo reste la seule demeure parisienne ouverte au public où le visiteur puisse saisir la face cachée et pratique d’un mode de vie luxueux au tournant des années 1910. En usage jusqu’à la mort de Moïse, les pièces de service de l’hôtel Camondo illustrent bien le souci de rationalité, de confort et de modernité. Ouvertes après un long travail de sauvegarde, les cuisines en sont un bel exemple, dans un effort de reconstitution et de mise en contexte évocatrices – cuivres, nappes, ménagère, bocaux, torchons, le tout déniché ici et là.
Dernières interventions en date, la rénovation de l’ancienne remise des voitures à l’élégante architecture de métal – bientôt destinée à accueillir réceptions et événements –, et l’ouverture totale des appartements de Nissim, prouvent combien l’apport du mécénat reste vital pour l’Ucad, Hélène David-Weill agissant de manière significative en ce sens, ainsi que Béatrice Salmon, directrice des musées de l’Ucad. Marie-Noël de Gary, conservateur en charge du musée – Bertrand Rondot étant le conservateur chargé des collections – a su mener à bien ces deux projets, avec compétence, rigueur et élégance.
Jamais ouvert dans son intégralité, l’appartement de Nissim posait, dès l’origine du musée, le
problème de sa restitution dans la mesure où, en l’absence de toute connaissance précise de l’ameublement des pièces du vivant de Nissim – sans doute modifié par l’occupant suivant, son beau-frère Léon Reinach – il avait été décidé de rassembler dans l’ancien bureau tous les éléments de mobilier, dont le très beau lit de milieu en acier et bronze doré, et de fermer les autres pièces. Le vœu de la Florence Gould Fondation d’apporter une contribution généreuse à la connaissance de la famille Camondo et la présence fidèle des Kraemer – aussi discrets qu’efficaces, dans la proximité privilégiée d’un voisinage attentif et d’une histoire partagée – ont permis de lancer ce chantier, en le consacrant à la mémoire des êtres et des lieux. La dernière campagne de travaux menés dans la maison d’habitation s’est donc efforcée de dégager les volumes originaux de l’appartement. L’ancienne chambre de Nissim a été soigneusement restaurée et tendue par le tapissier Jacques Brazet d’un pékin moiré rouge, retissé à l’identique à Lyon par les soins de la maison Prelle. Dorénavant consacrée à l’histoire des Camondo, cette chambre abrite de nombreux portraits et documents d’archives, bustes et souvenirs plus intimes, comme le fichier recensant les tableaux de Nissim l’Aîné et d’Abraham. Préservant le papier peint original, la garde-robe abrite la projection d’un documentaire sur les Camondo réalisé par Madeleine Caillard à partir d’éléments réunis par Sophie Le Tarnec, en charge des riches archives du musée – on pourra y entendre jouées pour la première fois depuis longtemps les mélodies composées par Isaac. La salle de bains a retrouvé son éclat d’antan, et comme ici rien ne se perd, les catalogues et les factures de la maison de plomberie Kula étant toujours conservés sur place, on sait tout de l’aspect original. De la distinction en tout, et l’on appréciera le charme du plafond voûté, et les détails élégants des huisseries et des carreaux. Reste à envisager un jour prochain la restauration de l’aile des écuries et de la descente à couvert, qui permettait aux élégantes de sortir de voiture au sec avant d’entrer dans l’hôtel – restauration qui rendrait pleinement grâce au très ingénieux plan proposé par Sergent à Moïse de Camondo.

Le musée Nissim de Camondo est ouvert du mercredi au dimanche de 10 h à 17 h ; fermé lundi et mardi. Tarifs : 4,60 et 3,10 euros. PARIS, 63 avenue de Monceau, VIIIe, tél. 01 53 89 06 40.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°553 du 1 décembre 2003, avec le titre suivant : Du nouveau à Camondo

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