Un portrait en deux cents visages

Par Guillaume Morel · L'ŒIL

Le 1 décembre 2003 - 679 mots

Le fonds photographique de  la Bibliothèque nationale est l’un des plus riches du monde, avec près de cinq millions de tirages, dont cent quatre-vingt mille images contemporaines. 

Cette collection unique commence à se constituer quelques années seulement après la naissance de la photographie, par des dons, au début des années 1840. Ces clichés sont d’abord documentaires, souvent produits en séries thématiques. L’instauration du dépôt légal en 1851 – il est alors déjà entré en vigueur en ce qui concerne les livres et les gravures – favorise l’enrichissement de la collection ; petit à petit, les photographes prennent l’habitude de déposer leur travail, et cent mille épreuves sont remises entre 1851 et 1914. Parallèlement, une politique d’acquisition se met en place, et
de grands ensembles sont constitués dès la fin du XIXe siècle, comme celui d’Eugène Atget, riche de quatre mille cinq cents images, ceux d’Henri Le Secq ou de Maxime Du Camp. La vérité et la précision photographiques sont alors prioritaires sur toute appréciation esthétique. Au dépôt légal et aux acquisitions s’ajoutent les nombreux dons d’artistes, qui, pour l’achat par l’institution d’une de leurs œuvres, en donnent souvent quelques autres afin de former un ensemble davantage représentatif de leur travail.
Il y avait donc une collection exemplaire. Il manquait un lieu qui lui soit entièrement dédié, jusqu’en mars dernier où s’est ouverte, dans la galerie Mansart de la Bibliothèque nationale, la galerie de Photographie.

L’idée principale de l’exposition « Portraits / Visages, 1853-2003 » est d’esquisser un portrait de la collection, d’en expliquer la genèse et de retracer, par ce biais, les grands courants de la photographie, depuis ses origines jusqu’à nos jours. Il ne s’agit pas de proposer une histoire du portrait, mais plutôt, par le prisme de ce sujet, de montrer la diversité et la richesse du fonds. En insistant sur l’aspect historique de sa constitution, les péripéties et les conditions particulières qui ont accompagné certains achats et acquisitions. Le parcours présente différentes manières d’appréhender le visage, la question du portrait et de l’autoportrait, à travers des œuvres le plus souvent inédites de photographes célèbres – Félix Nadar, Julia Margaret Cameron, Paul Strand, Man Ray, Brassaï, Diane Arbus… – ou moins connus – Miot, Crémière, Petit, Rumine ou Dornac –, répondant ainsi à l’un des principaux objectifs des commissaires, Anne Biroleau et Sylvie Aubenas, qui est de faire découvrir et de rendre accessible au public une collection qui lui appartient, à travers un choix équilibré d’artistes français et étrangers. Le point de départ de la sélection moderne est le travail d’Alphonse Bertillon (1853-1914), qui fixe dans ses photographies anthropométriques les visages avec pour but affirmé l’identification et la ressemblance. Le parcours se développe en six sections, de façon chronologique, en proposant une réflexion sur la question de l’individu, de l’identité, et en mettant en évidence les évolutions techniques et formelles qui jalonnent l’histoire du médium. L’exposition montre par exemple comment la photographie du XIXe siècle a vu naître des flous, des bougés, des cadrages particuliers dans le portrait, de manière involontaire ou expérimentale, et de quelles manières les artistes modernes et contemporains ont récupéré ces « accidents », les ont intégré à leur œuvre et ont pu les interpréter. Des visions presque abstraites de Maria Theresia Litschauer, Marianne Grimont ou Jean-Claude Bélégou aux visages déformés d’Olivier Christinat, en passant par les œuvres de Florence Chevallier, Xavier Zimmermann, Gilles Ehrmann ou Gabriel Cuallado, la partie consacrée au XXe siècle – et au début du xxie – montre le dynamisme et la cohérence de l’actuelle politique d’acquisition du département des Estampes et de la Photographie.

À partir d’un choix forcément subjectif de deux cents clichés, cette première grande exposition donne un aperçu significatif de cette collection qui fera régulièrement l’objet de présentations thématiques et monographiques.

« Portraits / Visages, 1853-2003 », PARIS, Bibliothèque nationale, site Richelieu, galerie de Photographie, 58 rue de Richelieu, IIe, tél. 01 53 79 59 59, 29 octobre-11 janvier 2004. À lire : le catalogue de l’exposition, Sylvie Aubenas, Anne Biroleau, coédition BNF/Gallimard, coll. « Galerie de photographie », 188 p., 150 ill., 40 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°553 du 1 décembre 2003, avec le titre suivant : Un portrait en deux cents visages

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