Jasper Morrison, en quête de simplicité

L'ŒIL

Le 1 janvier 2004 - 659 mots

On est amusé lorsque l’on découvre la parfaite cohérence qui existe entre Jasper Morrison et ses œuvres. Habillé en gris, le regard clair et les cheveux poivre et sel, son allure est sobre, calme et sans sophistication. Pas de bavardage inutile, Jasper Morrison va droit au but, avec justesse. Son travail reflète la même économie de moyen. Le designer anglais se réfère aux acteurs du mouvement moderne, à Eileen Gray, à Marcel Breuer, à Pierre Chareau ou à Jean Prouvé et à leur façon d’aborder le meuble dans son rapport avec la pièce qui l’accueille. Ainsi, dans ses successives expositions, Jasper Morrison tend à créer un contexte domestique, à resituer ses meubles et ses objets dans un espace défini, montrant leur influence sur l’atmosphère créée. Ce qui l’intéresse avant tout c’est l’angle réel du design, l’usage que l’on va en faire et la façon dont il s’intègre à nos modes de vie. Au travers d’un regard attentif porté sur les objets ancestraux et quotidiens qui nous entourent, Jasper Morrison dégage les caractéristiques essentielles pour réaliser des objets simples et discrets, que chacun peut s’approprier. Sa démarche laisse peu de place à l’élaboration formelle, comme il l’explique dans sa publication The Unimportance of Form (1991). Les meubles de Jasper Morrison ne sont en effet pas travaillés dans le modelé de la forme mais sont plutôt construits par assemblage de plans. C’est une des raisons pour laquelle on le dit, à tort, « minimaliste », ce terme renvoyant uniquement au mouvement artistique américain des années 1960. Cependant, l’aspect très graphique de ses œuvres n’est pas sans évoquer le mobilier créé par Donald Judd, qui est construit par un assemblage rigoureux de plans verticaux et horizontaux. Mais, contrairement à ce que l’on a l’habitude de dire, les meubles de Morrison échappent à cet excès du minimum. Tous témoignent d’un souci du détail et parfois, une utilisation de la courbe apporte légèreté et grâce à leur présence. Ainsi de la Plychair, éditée par Vitra en 1988. Le montant incurvé de son dossier et la courbe en « S » des pieds arrière animent son dessin. Constituée simplement de quelques pièces de contreplaqué assemblées, cette chaise n’est en aucune manière raide, elle est au contraire gracile. Chez Jasper Morrison, la quête de simplicité est un état d’esprit. Son Universal System pour Cappellini (1990) reflète cette philosophie du design. Dans un matériau modeste, Morrison imagine un système de rangements modulable, donc pratique, fixe ou sur roulettes. Plutôt que d’ajouter des éléments extérieurs au dessin, Morrison travaille dans le retrait. Ainsi, la poignée des tiroirs est remplacée par des trous dans le contreplaqué permettant de passer un doigt.
S’inscrivant dans la suite du mouvement moderne, il considère que le design doit améliorer la vie, et pour ce faire, doit entrer dans un système de production. C’est la condition sine qua non pour qu’il existe. Cette logique le conduit à s’intéresser, quand c’est nécessaire, aux nouvelles techniques de fabrication. C’est ainsi qu’il réalise la Air Chair (Magis, 1999) dont le dossier, l’assise et les quatre pieds sont réalisés d’un seul tenant grâce à une nouvelle technique de plastique moulé par injection de gaz.
L’état d’esprit et la logique dans lesquels il aborde le design lui donne une place évidente auprès des entreprises. En témoignent ses derniers projets, une collection d’appareils électroménagers avec Rowenta et un système de bureaux avec Vitra, remarquables par leur économie de moyen, leur homogénéité et leur cohérence.
Pas de luxe gratuit, pas d’utilisation inutile de matériaux innovants, pas de poudre aux yeux, Morrison tend à révéler la beauté des formes évidentes. La modestie apparente de ce travail va à l’encontre de toute la charge expressive qui a été mise dans les objets au début des années 1980, à la suite de Memphis. Rompant avec cette esthétique, Jasper Morrison entraîne avec lui, dans cette écriture aux limites de l’anonymat, toute une génération née dans les années 1990, dont font notamment partie les frères Bouroullec.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°554 du 1 janvier 2004, avec le titre suivant : Jasper Morrison, en quête de simplicité

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque