Henry Lacoste, rétrospective

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 1 janvier 2004 - 979 mots

Figure originale de l’architecture Art déco en Belgique, Henry Lacoste (1885-1968) demeure mal connu du grand public. Une grande rétrospective est organisée par les Archives de l’architecture moderne (AAM). L’architecte Maurice Culot, son directeur, revient sur les origines de la création de cette structure originale, fruit d’un militantisme des plus actifs...

 Pouvez-vous nous raconter la naissance de cette structure destinée à recueillir le matériau de l’élaboration d’une histoire de l’architecture moderne en Belgique ? 
Les Archives de l’architecture moderne (AAM) ont vu le jour en 1968. Elles ont été créées au terme d’une exposition d’architecture qui avait permis la redécouverte de nombreux artistes. Les familles prêteuses ne sachant que faire des documents, nous avons alors eu l’idée de constituer ce centre d’archives spécialisé. Parallèlement, grâce au mécénat de l’architecte Philippe Rotthier, une seconde association a vu le jour, il y a une quinzaine d’années : la Fondation pour l’architecture, sorte de vitrine pour nos activités. Enfin, il y a trois ans, le gouvernement de Bruxelles a initié la construction de locaux pour accueillir les associations à titre gracieux, constituant le Centre international pour la ville, l’architecture et le paysage (Civa). En face les AAM avaient acheté une ancienne loge maçonnique, qui a été transformée en musée d’architecture. Toutes ces activités sont nées d’initiatives privées.
Elles sont financées en partie par des subventions publiques, mais surtout par nos mécènes et nos propres recettes. Les AAM sont aussi une importante maison d’édition. Par notre politique éditoriale, nous ciblons désormais un large public, à la fois local et international, grâce à une nouvelle collection de petits ouvrages à bas prix, en parallèle de la publication d’ouvrages plus scientifiques.

En dehors de ces activités en Belgique, vous êtes responsable du département histoire et archives de l’Institut français d’architecture (IFA) à Paris. Comment expliquez-vous que le centre d’archives de l’IFA ait été créé vingt ans après votre association ?
Dans les années 1960, le contexte belge était peut-être plus propice. La Belgique est un pays d’architecture, du fait de son histoire très ancienne. C’est un pays qui n’a quasiment pas connu la féodalité et dans lequel les libertés communales ont été très fortes. Cette mentalité se retrouve aujourd’hui dans le caractère extrêmement individualiste des Belges, et la volonté de chacun de vivre dans une maison, de surcroît différente de celle de son voisin. L’immeuble appartement n’est arrivé en Belgique que dans les années 1920. Bien sûr, il y a eu quelques grands boulevards imités des exemples parisiens à la fin du xixe siècle, mais les gens n’ont pas voulu y vivre puisque, pour le même prix, ils pouvaient habiter une maison. Le territoire entier s’est donc urbanisé sur l’unité de la maison, chacune étant le fruit du travail de l’architecte. Cette activité a engendré la production de nombreuses archives.
L’association a proposé aux gens de les débarrasser de ces documents, ceci au cours de la grande période de mutation des années 1960.

La mutilation de Bruxelles au cours des années 1960-1970 a-t-elle été un moteur de l’activité de l’association ?

Absolument. L’origine de l’association n’est pas due à un amour immodéré des archives, mais plutôt à un but politique. Jeune architecte, de retour des États-Unis, j’ai retrouvé la ville où j’avais fait mes études ravagée par l’urbanisme contemporain. L’idée de l’association était de combattre ce phénomène de destruction extrêmement rapide. Il ne s’agissait même plus de l’enlaidissement de
la ville, mais d’un phénomène de dislocation de la société. Nous pensions que la ville est le lieu où l’on gagne des libertés et que sa destruction allait par conséquent à l’encontre de la démocratie. Nous avons donc souhaité montrer aux habitants de Bruxelles que les architectes n’avaient pas toujours été des destructeurs. L’idée de cette collection était donc de montrer, à travers des dessins et des photographies, qu’il n’y avait pas de fatalité, qu’au fond l’architecture pouvait être un élément d’embellissement.

Trente années plus tard, quel bilan en tirez-vous ?
Un grand nombre d’actions ont été efficaces. Les hommes politiques s’en sont emparés. Des immeubles ont été sauvés. Bruxelles est aujourd’hui reconnue comme capitale de l’Art nouveau…
C’est le pouvoir du livre : on ne démolit pas un bâtiment qui a été publié. Notre politique de diffusion et de vulgarisation a permis de rendre accessible au plus grand nombre cette architecture. Aujourd’hui, il suffit de se promener à Bruxelles pour sentir que le climat a changé. L’espace public est mieux traité. Ces trente années n’ont pas été perdues.

N’y a-t-il plus de combats à mener ?
Il y en aura toujours. Aujourd’hui, nos collections se sont considérablement enrichies et permettent d’explorer des champs de l’histoire de l’architecture encore peu connus. À Bruxelles, nous avons sauvé un quart des maisons d’Horta. Mais on continue de détruire les maisons voisines, parce qu’elles sont en style éclectique ou néoclassique. L’exposition sur Henry Lacoste permettra quant à elle de redécouvrir un maître de l’Art déco et de sensibiliser à ce patrimoine encore mal protégé.

Le flux constant d’accroissement des archives vous permet-il de continuer à assumer cet objectif ?
Les archives aussi évoluent. À partir de 1950, après la guerre, le monde change. L’urgence est à la reconstruction. Pour pouvoir construire en quantité, il a fallu se débarrasser des architectes et un processus de déqualification totale du métier s’est engagé. Une idéologie antibourgeoise s’est manifestée contre tout ce qui était ancien. De cette période, dans laquelle l’architecture n’avait plus
sa place, nous pouvons ne garder que des échantillons d’archives. Aujourd’hui, l’architecture peut de nouveau renouer avec la qualité, en intégrant de nouvelles notions, telles que le contexte, l’écologie, la nostalgie, abhorrée dans les années 1960. Nous entrons dans une période intéressante, dans laquelle une approche amoureuse de l’architecture trouve à nouveau sa place. Les années 1960 ont été celles de la rupture de tout lien avec l’histoire. Tout le travail de l’association a été de tendre la main à ce passé.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°554 du 1 janvier 2004, avec le titre suivant : Henry Lacoste, rétrospective

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