Art ancien

L’âge d’or des tapis

Par Pierre-Emmanuel Martin Vivier · L'ŒIL

Le 1 janvier 2004 - 793 mots

L’avènement de Napoléon Ier marque la renaissance du tapis français. Réduites à l’inactivité depuis 1789, les manufactures des Gobelins, de la Savonnerie et d’Aubusson mais aussi les ateliers privés trouvent dans la politique de réaménagement des palais impériaux l’occasion de renouer avec un nouvel âge d’or.
Durant les quatorze ans du règne de l’Empereur, le Garde-Meuble impérial se voit confier le réaménagement des palais des Tuileries, de Saint-Cloud, de Fontainebleau, de Compiègne, des trianons, de Bagatelle, de Rambouillet et de Meudon sans compter ceux de province – Bordeaux et Strasbourg – mais aussi des résidences étrangères, tous dépouillés de leurs meubles à la Révolution. Ces gigantesques chantiers fournissent aux artisans et manufactures françaises une masse de travail considérable. Plus de quatre-vingts kilomètres de soierie sortent des ateliers lyonnais. L’ébéniste Jacob-Desmalter ne livre pas moins de deux cent dix-sept lits, cent six bureaux et cinq cent soixante-dix-sept sièges pour le seul palais de Fontainebleau.


Les quantités de tapis livrés sont moindres mais les quarante ouvriers de la Savonnerie ne peuvent faire face à la demande et sont contraints de faire appel aux ateliers privés pour relever le défi. La manufacture Piat Lefebvre et fils de Tournai, – le rattachement de Tournai aux Pays-Bas ne se fait qu’en 1814 – qui compte près de neuf cents tisserands et plus de quatre mille ouvriers, profite de cette situation qui lui apporte un premier prix à l’exposition des produits de l’industrie de 1806 pour le célèbre tapis des cohortes de la Légion d’honneur destiné au grand cabinet de l’Empereur à Saint-Cloud.
Cette frénésie de commandes permet surtout aux lissiers français de relancer les ateliers de création et de forger ce qui allait devenir le style Empire. Après la Révolution, les manufactures ne se renouvellent guère et conservent les cartons utilisés à la fin du règne de Louis XVI. À travers ces travaux, l’ambition de l’Empereur est aussi de redonner aux arts français leur suprématie. Les architectes Percier et Fontaine qui avaient donné satisfaction en restaurant le château de la Malmaison en 1800, seront chargés, à la manière de Lebrun sous le règne de Louis XIV, de mener cette politique.


Si les deux architectes donnent quelques modèles à la Savonnerie, ce sont surtout leurs élèves et suiveurs comme le Belge Bruno Renard mais surtout Jacques-Louis de la Hamayde de Saint-Ange, dessinateur officiel du Garde-Meuble durant toute la première moitié du xixe siècle, qui insufflent un air nouveau. Reprenant des compositions éprouvées, ces tapis adoptent un vocabulaire ornemental renouvelé. À coté des caractéristiques attributs militaires, casques, glaives, haches et faisceaux de licteur, rondaches et boucliers réservés aux tapis d’apparat et des traditionnelles palmettes, cornes d’abondance, cygnes et lyres, les architectes retiennent aussi des formes plus délicates et inattendues. Nous sommes surpris de voir courir sur les tapis colombes et papillons, amours ailés et couple de pigeons, bouquets et guirlandes de roses et de lilas mais aussi des sujets tirés des Fables de La Fontaine. L’image d’austérité se désagrège complètement à la vue des couleurs qui recouvrent ces tapis avec une certaine allégresse sans se soucier d’un quelconque réalisme.


Les acanthes peuvent être mauves et les tulipes bleues, les tapis acceptent « toutes les licences de la poésie, toutes les métamorphoses du rêve ». L’engouement suscité par la production française à travers toute l’Europe et l’Amérique imposera le tapis dans les grandes demeures européennes durant tout le XIXe siècle. Le style s’adoucira, les influences et les inspirations se diversifieront. La périodicité historique est d’ailleurs très lisible dans la production, et l’on identifie aisément les tapis de la monarchie de Juillet de ceux de la Restauration ou du règne de Charles X.


Peu de tapis sont parvenus jusqu’à nous. L’usage qui en a été fait pendant deux siècles et surtout les transformations subies à chaque changement du pouvoir – les abeilles Empire sont remplacées par des fleurs de lys sous la Monarchie de Juillet avant de laisser place à de simples rosaces sous Louis-Philippe – ont laissé peu de tapis intacts. Seuls les cartons de tapisseries permettent de découvrir leurs richesses chromatiques et ornementales. Ce sont ces modèles de tapis provenant de la manufacture Piat Lefebvre et fils qui sont présentés pour la première fois au public depuis leur acquisition en 1908 par l’historien et collectionneur Paul Marmottan.
Ils ont par ailleurs été réunis dans un remarquable ouvrage commenté par quelques-uns des meilleurs spécialistes.

« Tapis d’Empire : maquettes de la collection Marmottant », BOULOGNE-BILLANCOURT (92) bibliothèque Marmottan, 7 place Denfert-Rochereau, tél. 01 41 10 24 70, 23 octobre-31 janvier 2004. L’exposition sera ensuite présentée à la piscine-musée d’Art et d’Industrie André Diligent, ROUBAIX (59), 19 mars-16 mai 2004. À lire : Bruno Foucart (ss la dir. de), « Tapis d’Empire. Maquettes de la Collection Marmottan », éditions Norma, 29,50 euros.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°554 du 1 janvier 2004, avec le titre suivant : L’âge d’or des tapis

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