Témoignages d’une civilisation disparue

Par Laure Meyer · L'ŒIL

Le 1 janvier 2004 - 574 mots

Situé par les spécialistes vers 1200 av. J.-C., l’Homme de bronze, actuellement visible à l’Hôtel de Ville, appartient à l’ère des Premières Dynasties (vers 1500-221 av. J.-C.), c’est-à-dire une période où les rois Shang établirent leur suprématie militaire, une période également caractérisée par l’urbanisation et par le règne d’une société solidement stratifiée, avant les rois Zhou et avant l’implantation d’un empire unique en 221 av. J.-C.
L’Homme de bronze a été retrouvé au Sichuan, à l’ouest de la Chine dans une région excentrée, fertile, qui, au IIe millénaire, n’avait que des contacts intermittents avec la Chine centrale, celle des Shang. C’est là, autour du site de Sanxingdui, que s’est développée une brillante civilisation oubliée pendant trois millénaires, jusqu’à sa découverte en 1986. Le 18 juillet 1986, d’étonnantes têtes de bronze grandeur nature sont retrouvées dans une fosse parmi quatre cent vingt objets en bronze, en jade et en or. Un mois plus tard, une seconde fosse livre mille trois cents pièces. Les objets se trouvaient mêlés à une grande quantité d’os brûlés d’animaux, de cauris et de défenses d’éléphants. Tout avait été volontairement détruit, brisé et brûlé. Autour de ces fosses, on devait exhumer les vestiges d’une antique cité protégée par un rempart de 1 800 mètres et par un cours d’eau. Des vestiges d’habitat, d’ateliers pour le travail du jade et de la pierre ont pu être identifiés mais le centre-ville a été détruit par
les crues de la rivière.
La majorité des objets retrouvés semble avoir eu une fonction religieuse. Ils étaient liés à une élite possédant des pouvoirs politiques importants et une richesse considérable que prouvent le bronze, le jade et l’or contenus dans les fosses. Les spécialistes estiment que les objets y ont été placés intentionnellement pour y être abandonnés définitivement à la suite d’événements totalement inconnus dont on ne retrouve aucune trace dans les chroniques des pays voisins. Il s’agirait donc d’un dépôt votif, de fosses sacrificielles remplies peut-être au cours d’une cérémonie religieuse ou à l’issue d’un conflit dramatique.
De cette cité probablement abandonnée demeure un chef-d’œuvre, un personnage hiératique de 2,60 mètres de haut, pesant 180 kilos. Unique dans toute la Chine, l’Homme de bronze incarnait-il un prêtre, un chaman, un ancêtre, une divinité, un roi ?
Le mystère reste entier. Cette statue avait été volontairement brisée à la taille avant d’être enterrée dans la seconde fosse où l’on a retrouvé également une vingtaine de têtes présentant des ressemblances avec l’Homme de bronze. Des trous percés en plusieurs points et un cou très allongé laissent penser qu’elles se dressaient au sommet de poteaux ou d’un corps fabriqué dans un matériau différent. Des traces de peinture noire sur les yeux et les sourcils, de rouge cinabre dans
la fente de la bouche visaient à produire une impression de vie. L’une de ces têtes est recouverte d’un masque en or.
Cette civilisation qui semble avoir atteint un si haut degré de culture ne s’est pas perpétuée longtemps au même niveau. La puissance de Sanxingdui a rapidement décliné tandis que se développait vers 1200 av. J.-C. une cité nouvelle, Jinsha, elle-même remplacée au cours des siècles suivants par d’autres cités, d’autres royaumes… Restent de magnifiques vestiges.

« Chine l’énigme de l’Homme de bronze. Archéologie du Sichuan (XIIe-IIIe siècle avant J.-C.) », PARIS, Hôtel de Ville, salle Saint-Jean,3 rue Lobau, IVe, tél. 01 55 74 61 3, 14 octobre-28 janvier 2004, entrée libre. Cat., coéd. Paris musées/éd. Findakly, 256 p., 45 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°554 du 1 janvier 2004, avec le titre suivant : Témoignages d’une civilisation disparue

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