Réforme du régime des experts en ventes publiques

Depuis 2000, experts agréés et experts non agréés coexistent, soumis à plusieurs régimes juridiques. Une différence qu’une loi récemment votée n’a pas permis de corriger.

La loi du 10 juillet 2000, tout en réformant les ventes aux enchères, avait également pour objectif d’établir un statut légal pour des experts agréés par le conseil des ventes, et soumis alors à des règles professionnelles garantissant une plus grande transparence du marché de l’art. La mise en place de ce régime n’a pas été couronnée de succès et a suscité de vives critiques. De telle sorte que, moins de quatre ans après le vote de la loi, le statut des experts est déjà en cours de réforme par le parlement.

Le régime actuel des experts
Le principe même du régime des experts tel qu’il résulte de la loi de 2000, désormais incorporée au code du commerce (auquel tous les articles cités ci-après appartiennent), est la coexistence d’experts agréés et d’experts non agréés, soumis à des régimes juridiques différents, les sociétés de ventes pouvant recourir aux uns comme aux autres.
Les experts agréés bénéficient de quelques avantages en contrepartie de contraintes fortes. Leur titre, conçu comme un label de qualité propre à rassurer et attirer les clients, est protégé, son usurpation étant passible de sanctions pénales (L. 321-33). Les actions en responsabilité à leur encontre pour leurs expertises en ventes volontaires sont soumises à un délai de prescription abrégé de dix ans (L. 321-17). En contrepartie, ils doivent respecter des obligations spécifiques à leur statut. Une obligation financière tout d’abord, puisqu’ils contribuent au financement du conseil des ventes par le versement d’une cotisation (L. 321-21). Une contrainte disciplinaire forte ensuite puisque le conseil des ventes peut sanctionner sévèrement les experts agréés indélicats, selon une procédure exorbitante du droit commun ; la sanction la plus grave étant l’interdiction d’exercer (L. 321-22). Les experts agréés doivent également souscrire une assurance garantissant leur responsabilité civile professionnelle (L. 321-31). Par ailleurs, ils sont solidairement responsables avec la personne qui organise les ventes pour ce qui relève de leur activité (même article). Enfin, ils ne peuvent ni estimer, ni mettre en vente des biens leur appartenant, ni se porter acquéreur directement ou indirectement, pour leur propre compte, d’un bien dans les ventes auxquelles ils participent (L. 321-35).
Les experts non agréés ne subissent pas ces contraintes et restent soumis au régime antérieur : théoriquement, leur solidarité avec l’organisateur de la vente n’est pas présumée mais doit être prouvée. Leurs seuls désavantages significatifs sont de ne pouvoir se targuer d’un titre reconnu par la loi et de voir les actions en responsabilité civile professionnelle à leur encontre soumises à une prescription longue de trente ans.

Bilan et critiques de la réforme
Les contraintes imposées aux experts agréés par rapport aux avantages que confère ce titre sont telles que de nombreux experts n’ont pas sollicité l’agrément. À ce jour, seuls soixante-quatorze experts sont agréés et certaines spécialités majeures désertées, ainsi aucun expert n’est agréé pour les tableaux des XVIIe ou XVIIIe siècles. Enfin, le marché se passe des experts agréés puisque les sociétés de ventes continuent de recourir aux experts non agréés qui officiaient avant la réforme ou à des experts salariés.
Les critiques les plus violentes émanent des syndicats d’experts qui reprochent notamment au conseil des ventes de ne pas posséder la compétence technique pour délivrer des agréments et de dépasser son rôle de régulateur du marché en prétendant représenter les experts. Deux experts membres du conseil ont d’ailleurs présenté leur démission de cette instance. Le commissaire du gouvernement auprès du conseil a constaté l’échec du système et proposé plusieurs amendements au texte, notamment le recours obligatoire aux experts agréés. Le conseil des ventes lui-même a proposé plusieurs modifications « urgentes ». Il souhaite que l’obligation d’assurance et l’impossibilité d’acheter ou de vendre pour leur propre compte dans les ventes auxquelles ils participent s’appliquent aussi aux experts non agréés. Pour les experts agréés, il préconise une harmonisation des délais de prescription à dix ans pour toutes leurs missions, ventes publiques mais également ventes de gré à gré, expertises hors ventes… Entériner cette proposition aurait un effet inverse à celui attendu : inapplicable aux experts non agréés, elle rendrait ainsi leur garantie trentenaire plus intéressante pour les sociétés de ventes et les particuliers.

Les modifications apportées par un nouveau projet de loi
Le gouvernement a profité de la discussion d’une loi réformant certaines professions judiciaires et juridiques pour proposer des amendements permettant de modifier, a minima, les principales lacunes de la loi de 2000. En première lecture, le texte a été voté en des termes quasi identiques par le Sénat (séance du 2 avril 2003) et l’Assemblée nationale (séance du 6 janvier 2004). A priori, il ne devrait pas connaître de modifications substantielles avant sa promulgation. Le but du législateur était de favoriser la concurrence entre experts et de renforcer encore la protection des consommateurs, objectif essentiel de la loi de 2000.
La plupart des obligations incombant aux experts agréés seront étendues à tous les experts en ventes publiques. Quel que soit leur statut, leur responsabilité deviendra solidaire avec la société de ventes ; ainsi, un client pourra aisément se retourner contre les deux (nouvel art. L. 321-17). La prescription décennale des actions en responsabilité intentées contre les experts agréés, lors de ventes publiques, s’appliquera aux experts non agréés. En revanche, la prescription trentenaire demeure pour leurs autres prestations. Ce qui risque de créer des situations inextricables : un expert qui, après l’estimation de biens pour un partage, en assure la vente aux enchères, sera soumis à deux délais pour la même expertise. Soumettre toutes ces prestations à une même prescription eût été plus cohérent. L’obligation d’assurance (nouvel art. L. 321-31) et l’interdiction d’acheter ou de vendre pour leur propre compte dans les ventes auxquelles ils participent s’imposent à tous les experts. Cette dernière mesure est juste : dans un tel cas, les experts pourraient avoir à arbitrer entre leurs intérêts propres et ceux des acheteurs ou vendeurs. Elle sera assouplie par la faculté offerte aux experts de vendre aux enchères un bien leur appartenant, à condition qu’il en soit fait mention dans le catalogue de la société de ventes choisie (nouvel art. L. 321-35).
Enfin, les sociétés de ventes ayant recours à un expert non agréé devront vérifier le respect de ces dispositions (nouvel art. L. 321-5-1). Le législateur n’énonce pas quelles seront l’étendue et les modalités concrètes de telles vérifications. Toutefois, le conseil des ventes pourra s’assurer que cette obligation est respectée et sanctionner les défaillances. Ce contrôle compense l’absence dans le projet de loi de toute sanction à l’encontre des experts non agréés qui n’en respecteraient pas les dispositions.
Paradoxalement, si le projet de loi était voté tel quel, le renforcement des obligations incombant aux experts non agréés et l’harmonisation des délais de prescriptions des deux catégories d’experts rendraient le régime des experts agréés encore moins attractif, puisque son seul avantage concret serait l’existence d’un titre protégé. Les experts non agréés, quant à eux, pourraient faire valoir à leur clientèle des obligations légales quasi identiques sans payer de cotisation au conseil des ventes, ni subir sa tutelle disciplinaire.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°555 du 1 février 2004, avec le titre suivant : Réforme du régime des experts en ventes publiques

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