Questions de temps

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 février 2004 - 467 mots

À Londres, et même en Grande-Bretagne sans vouloir être mauvaise langue, la question du climat est cruciale. Il va sans dire qu’en France aussi, on commence souvent la journée en s’interrogeant sur
le temps qu’il fait, mais outre-Manche, la question est certainement plus existentielle.
À partir de cette expérience toute locale du climat, et surtout de son indice culturel, Olafur Eliasson a élaboré un projet grandiose comme il se doit lorsqu’il s’agit de la commande annuelle passée par
le mécène Unilever pour « remplir » la grande halle de la Tate Modern. L’an dernier Anish Kapoor y avait déployé une conque rouge des plus impressionnantes, encore avant Louise Bourgeois y avait installé son araignée géante. Bref, la démesure est généralement de mise, histoire que ce consortium ne regrette pas son geste et bénéficie de retombées médiatiques à la hauteur de sa participation. Pour le coup, l’intervention du Danois superstar pourrait même sembler « légère » au regard de ses prédécesseurs, sauf qu’en terme d’impact, elle n’a rien à leur envier. Ce serait même plutôt le contraire tant la prégnance de ce projet climatique est forte. S’il fallait une preuve, l’incroyable succès que remporte cette installation auprès du public, toujours plus nombreux à s’exposer aux rayons d’un soleil artificiel hissé au plafond du grand hall, à trente-cinq mètres au-dessus de nos silhouettes, dérisoires, reflétées par des miroirs. Les gens s’installent, s’allongent dans un brouillard bien londonien, immergés dans ce jaune qui sature la rétine. On voit tout en noir et blanc, car l’œil saturé d’une seule teinte oublie les autres, et le cerveau, allégé en information, peut ainsi se concentrer sur la qualité de l’acuité visuelle. Diabolique.
Une vraie expérience perceptive, émotive, psychologique et physique, qui replace l’homme dans un univers qui le dépasse, dans un paysage monochrome fait de miroirs et de lampes tungstène monofréquence certes, mais un environnement tout de même qui assume son humanité en croisant
la science avec l’art, tout comme les romantiques au XIXe siècle. Et le comportement du public extatique, transporté et recueilli, n’est pas loin de faire penser qu’avec Eliasson le romantisme n’est pas mort, non dans sa version mièvre et éthérée, mais dans son essence, dans son goût pour l’expérience, la perception, et ce soin de ne pas imposer de lecture au spectateur, histoire de lui laisser un doute bien plus fertile. The Weather Project fait penser au succès des panoramas au XIXe siècle, lorsqu’on s’y pressait de New York à Londres pour faire l’expérience d’une nature de paysages peints et montés sur un châssis sphérique et mobile. Cette nature de substitution-là ne se posait pas de question, elle assumait. C’est ce que fait Eliasson.

« Olafur Eliasson : The weather project, Unilever Series », LONDRES (G.-B.), Tate Modern, Bankside, tél. 44 20 787 80 00, www.tate.org.uk, jusqu’au 21 mars.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°555 du 1 février 2004, avec le titre suivant : Questions de temps

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