Sur la montagne

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 février 2004 - 673 mots

Comment envisager ce genre d’exposition lorsqu’on consulte les agendas de l’art ? Comme simple travail de recensement du motif ou prétexte à un déploiement de prêts hallucinants, accordant une multitude d’institutions ? Exposition tremplin pour un musée fraîchement revu par l’architecte Mario Botta ou vraie réflexion historienne et esthétique sur ce qu’a pu représenter, symboliser, incarner ou révélerla montagne, ici, juste à côté de Trente, au creux des Alpes italiennes, au sein de ce paysage qu’un jour Dürer daigna peindre avec certitude. À la vue du nombre de pièces rassemblées au détour des trente-cinq salles du Mart (Museo d’Arte Moderna e Contemporanea di Trento), on sait déjà qu’un effort a été fait quant au sérieux et à la respectabilité de l’entreprise.
En plus de quatre cents tableaux, manuscrits, objets, cartes, livres, sculptures et photographies, on a de quoi se faire une idée plutôt précise, chronologique et bien fouillée de qui est la montagne. Oui qui, et non quoi, car la montagne devient bien un personnage dans les toiles des romantiques allemands (Friedrich, Carus), mais aussi dans les icônes, les dessins d’Altdorfer, le traité de Galilée, les gouaches de Goethe, les œuvres de John Ruskin ou de Füssli. Horreur, enchantement, rêve de perfection, mesure du monde, la montagne est passée du mystère des enfers aux nues de la connaissance la plus objective en quelques siècles, alliant les plaisirs des arts aux découvertes plus scientifiques, les mythes aux grandes certitudes. L’axe chronologique s’articule selon cinq paliers. « L’intuition » pour commencer et couvrir les xive et xvie siècles de Dürer à Léonard, de Patinir aux textes de Pétrarque, est suivie de « la recherche scientifique » pour le xviie siècle (Descartes, Galilée et Thomas Burnet). « La découverte ou la montagne comme phénomène, du sublime au romantique » est assurément une partie clef très solide, articulant de nombreuses sections (volcan, panorama, glacier, le cristal comme rêve de perfection, la forme de la nature, la montagne imaginée), un large choix d’instruments, de textes et d’œuvres. On comprend ainsi comment la nature, à travers le prisme de la montagne, s’est vue peinte ou dessinée avec toujours plus de précision pour mieux répondre aux aspirations mystiques, combinant dès lors un esprit documentaire à des paradigmes moraux ou héroïques selon les pays. La montagne, après l’obscurantisme médiéval et ses craintes religieuses, s’est progressivement transformée, est devenue l’emblème, au prix d’une recherche scientifique acharnée et passionnée, de l’histoire et de l’évolution de la terre, comprise comme un être vivant. L’une des forces de cette exposition est sa précision que l’on retrouve dans le catalogue.
La « dématérialisation », quatrième étape de cette expédition, montre que la montagne une fois dépouillée des mystères de sa création à la fin du xixe siècle est devenue motif, sujet aux variations de lumière et d’air par le néo-impressionniste Segantini ou le symboliste Hodler, gonflé par une dimension intellectuelle, spirituelle ou mythique dans les toiles splendides choisies chez Nolde, Munch, Cézanne (une salle, « la montagne immatérielle », lui est consacrée), Kandinsky ou Kirchner. La seconde moitié du xxe siècle allie tectonique des plaques et négation. La montagne est devenue un produit de grande consommation accueillant stations de ski et fantasmes romantiques édulcorés ; ce dernier bastion de la nature sauvage a été aménagé, on y pratique le ski sans plus de déférence. La montagne a désormais son alter ego océanique, plus mystérieux, plus stimulant pour l’imagination même si les objectifs d’un Burkhard ou d’un Niedermayr savent encore lui rendre grâce. Pêle-mêle, cette partie contemporaine rassemble Baselitz, Richter, Ernst, Opie, Kapoor, Morris ou Dino Buzzati, pour finir sur la vidéo de Su Mei-Tse (L’Écho, 2003), Lion d’or de la dernière Biennale de Venise. Comme pour signifier avec l’image de cette violoncelliste en rouge, minuscule présence devant un abîme de roche, que la montagne n’a jamais pu se départir complètement d’une présence magique et sublime, au sens burkien du terme, et c’est tant mieux.

Montagne : art, science, mythe. De Dürer à Warhol, ROVERETO (Italie), Mart, corso Bettini 43, www.mart.trento.it, jusqu’au 18 avril. Cat. Skira, 70 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°555 du 1 février 2004, avec le titre suivant : Sur la montagne

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