Rencontres secrètes

L'ŒIL

Le 1 février 2004 - 382 mots

« Au cinquante-six, sept, huit,
peu importe
De la rue X, si vous frappez à
la porte,
D’abord un coup, puis trois autres,
on vous laisse entrer,
Seul et parfois même accompagné. »
C’est sur ces mots que commence L’Hôtel particulier, la chanson de Gainsbourg qui donne son titre à l’exposition que présente Betty Buy chez Anton Weller, une galerie qui propose aux artistes des lieux d’exposition autres que le white cube de la galerie. Ici, comme le titre l’indique, c’est dans un hôtel de la rive gauche, dont l’adresse vous sera communiquée par téléphone, que l’artiste intervient, jouant de tout ce à quoi peut renvoyer un tel lieu dans l’imaginaire collectif.
En effet, suggestive en diable, la référence à Gainsbourg nous invite à considérer le luxueux appartement privé en rez-de-jardin, dans lequel se tient l’exposition, comme le lieu de possibles rencontres secrètes, érotiques et troubles. C’est précisément dans cette manière de créer des effets de décalages entre ce qu’on voit et ce qu’on imagine, de déplacements, que réside l’art de Betty Buy.
Dès l’entrée, jouant d’un effet emprunté au langage cinématographique, un dallage en damier crée une accélération de la perspective du couloir face à nous.
Dans le grand salon, au-dessus des canapés, des appliques lumineuses en Plexiglas rouge, tout droit sorties des années 1960 figurent au mur les impacts surdimensionnés et sanglants d’une rafale de mitraillette. Au sol, un tapis forme une tache de sang qui part des murs pour gagner la porte-fenêtre et s’écouler dans le jardin. Dans le petit salon d’à côté, des chaises Louis XVI revisitées invitent à
des conversations dignes de la Philosophie dans le boudoir.
Héritière pas si lointaine d’Artschwager et de Claes Oldenburg, Betty Buy, dont les œuvres se confondent avec le mobilier, infiltre cet intérieur bourgeois pour le faire basculer dans une dimension fictive. Mais si l’artiste emprunte au cinéma ses effets de mise en scène, l’aspect théâtral de ce travail se trouve contrebalancé par une mise à distance des thèmes qui sont traités. Ici, c’est par glissements que l’artiste crée ces effets de décalage, par l’incongruité ou la violence des thèmes auxquels renvoient ces objets à première vue anodins.

« Betty Buy, L’Hôtel particulier », galerie Anton Weller / Chez l’Un l’Autre, sur rendez-vous, tél. 01 43 54 56 32, 27 janvier-10 avril.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°555 du 1 février 2004, avec le titre suivant : Rencontres secrètes

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