La nouvelle voie d’Alain Veinstein

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 1 février 2004 - 989 mots

L’écrivain, poète et homme de radio est également le directeur littéraire des Éditions Melville/Léo Scheer récemment créées. Initialement histoire de hasards, cette aventure est aussi une nécessité, une « hantise de la littérature ». Un nouvel espace de résistance.

À en croire Alain Veinstein, les choses ont été simples. Une rencontre, celle de Léo Scheer, qui lui propose de créer sa propre maison d’édition et ainsi de rejoindre, en qualité de directeur littéraire, la Fédération. Facile à dire et facile à faire. Celui-ci sera le financier, celui-là l’éditeur. Au Salon du livre dernier, les Éditions Melville voyaient le jour. Aussi simple ? Et Alain Veinstein d’acquiescer, le sourire aux lèvres, en assurant que la plus grande difficulté fut de trouver un appartement exactement à sa convenance. Mais déménager ne signifiait aucunement consentir à un sacrifice ou oublier ses autres engagements. Juste une nouvelle prise de risque, une manière de se confronter à son obsession.
Cette obsession, c’est celle de la littérature, de la langue. Obsession qui, depuis l’éclatement de l’ORTF et son refus d’être reclassé à la télévision en proie à un inévitable délitement, devait le ramener à la radiophonie. Et à France Culture où il trouve encore, depuis plus de vingt-cinq ans, une « liberté d’expression totale. Ce qui est rarissime ». Producteur des Nuits magnétiques puis de Surpris par la nuit qu’il anime de manière récurrente, il persévère dans son exercice quotidien d’intervieweur. Du jour au lendemain, qu’il lança en 1985, continue d’être ce lieu d’échange où l’on vient parler littérature autour d’un livre récemment paru. Un lieu d’écoute – à la lettre – où Alain Veinstein, puisque « la parole authentifie l’écrit », égrène les mots des auteurs qu’il reçoit, célébrés ou méconnus. À l’instar de ceux qu’il édite aux Éditions Melville et qu’il se refuse déontologiquement de recevoir à France Culture, de Rosmarie Waldrop à Aurélie Nemours en passant par Isabelle Rossignol ou Marie-Odile Beauvais. Malheureusement, d’ailleurs. Car lancer une maison d’édition, c’est se confronter parfois à la déception face à la réception trop discrète de certains livres qu’on juge pourtant de premier plan. Mais des articles paraissent et les livres rouges, maintenant reconnaissables à leur couverture reproduisant une photographie en sous-impression (que l’on doit au directeur artistique Pascal Guédin), hantent, sans cesse plus nombreux, les rayonnages. C’est aussi un choix, et la croyance intime que « le livre doit prendre le temps de trouver son lecteur ». Un autre temps économique que celui des grands groupes.
Alain Veinstein n’est pas béotien dans le milieu de l’édition. Il fut tour à tour directeur de collections (« Carnets » chez Plon, « Dernier Avis » chez Julliard), puis des éditions Adrien Maeght pendant une dizaine d’années, avant d’apprendre chez Seghers (maison qu’il admire encore, à bien des égards, et pour qui il relança « Poètes d’aujourd’hui » et créa la collection « Poésie d’abord ») « qu’il fallait rendre des comptes ». La rencontre avec Léo Scheer devait lui rendre un espace de liberté et de résistance. Une gageure qu’il saisit au vol. Bénéficier de la logistique de la Fédération, retrouver des auteurs rencontrés sur son parcours – Sabine Macher ou Christine Lapostolle –, traquer de nouveau l’étincelle parmi les manuscrits qui bigarrent son bureau de la rue Notre-Dame-des-Champs.

Un éditeur avec son auteur
Lire. Et relire, pour se redécouvrir lecteur. Pour se remémorer, se faire bousculer. « On ne passe pas son temps à relire des livres. On passe son temps à les oublier ». Comme Billy Budd ou Bartleby d’Herman Melville, qui sombra dans l’oubli avant d’être réhabilité. Melville qui résista.
Melville qui devait donner son nom à la maison d’édition.
Écrire, également. De Répétition sur les amas en 1974 à Tout se passe comme si qui lui a valu le Prix
Mallarmé en 2001, tandis que l’Académie française lui décernait en 2003 le Grand Prix de poésie pour l’ensemble de son œuvre. Alain Veinstein sait ne pas mêler les personnages, il sait dissocier, déconnecter l’éditeur de l’homme de radio, l’écrivain de l’homme. L’intervieweur, Violante : devant la tentation de certains de voir dans ses romans des autobiographies et d’y chercher une identification, il ne cherche aucune défense mais explique sa démarche, simplement, par la poésie : « le “je” est la plus grande des fictions. »
Mais il sait, par contre, très bien mêler les genres. Galeriste pendant plusieurs années, habitué du commerce avec l’artiste, quelle que soit sa forme d’expression, il sait que la modernité tient « à l’éclatement des genres ». Il en va de la sorte pour un manuscrit resté longtemps en souffrance et qu’Alain Veinstein tenait, contre vents et marées, à publier aux Éditions Melville. Il s’agit de À l’instant du sociologue Luc Boltanski qui livre un cycle de poèmes qu’ajustent des images de son frère Christian. De même, Aurélie Nemours, « exaltée comme une enfant de quatre-vingt-treize ans », se fait écrivain à part entière, dans une langue âpre et ciselée, sans ponctuation et se jouant de la typographie. Michel Cournot, avec Au cinéma, prélude à une collection – « L’heure du loup » – qui regroupera essais, journaux, chroniques et carnets. L’histoire est souvent simple. Intense et brutale. Comme celle de Sabine Macher, envoyant un manuscrit sans laisser d’adresse et qu’Alain Veinstein s’est employé à retrouver. Comme celle de Jean-Marc Elias dont il reçoit le manuscrit de La Rade foraine, devant lequel il reste « sans y tout comprendre mais avec la certitude qu’il faut le publier sans réserve », le jaugeant à l’aune de Des Forêts. Car l’histoire est également celle d’un éditeur avec son auteur – l’histoire de la poésie finalement. Alain Veinstein la connaît très bien. « On peut employer aussi indifféremment le mot “poésie” et le mot “amour” », confie-t-il, songeur. Cette aventure à la direction des Éditions Melville ira donc avec ses passions, ses déchirements, son lot de fatigue et d’enthousiasme, tant que le manuscrit offrira l’espoir « d’une charge explosive d’inconnu ».

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°555 du 1 février 2004, avec le titre suivant : La nouvelle voie d’Alain Veinstein

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