Mythologies du retour d’un enfant prodigue

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 2 novembre 2007 - 767 mots

Personnage complexe et ambivalent, Paoli attira longtemps l’attention des artistes et des intellectuels jusqu’à incarner, non sans paradoxe, la figure du grand homme.

Louangé et admiré, Pasquale de’Paoli fut crédité de qualités qui, exacerbées, ont suffi à faire de lui un mythe. Or tout mythe s’élabore autour d’une réalité double, réelle et fantasmée. Il faut ici relire la définition qu’en fit Roland Barthes : « Image simplifiée, souvent illusoire, que des groupes humains élaborent ou acceptent au sujet d’un individu ou d’un fait et qui joue un rôle déterminant dans leur
comportement ou leur appréciation ». Et pour construire le mythe Paoli jusqu’à le pérenniser dans un hypothétique futur, il existait des armes autrement plus efficaces que l’artillerie : la peinture et les lettres...

Taxinomie du grand homme
Une superposition logique a voulu qu’à chaque grande ère historique correspondît à une aire géographique spécifique. Fonder une autorité politique, établir un régime constitutionnel, élaborer un système souverain, favoriser les arts : il fallut nécessairement que ces périodes fastes eussent un homme fédérateur enclin à asseoir une stabilité. Souvent ingrate, la postérité n’en a retenu que de rares qui, appelés par leur talent à créer ou régénérer une civilisation, furent, élus parmi les élus, de symboles charismatiques d’un monde alors en marche.
Aussi le grand homme est-il souvent un fondateur autant qu’un bâtisseur, point zéro ou acmé d’une histoire dans l’Histoire : Thésée et Périclès en Grèce, Énée et César à Rome, Laurent de Médicis et François Ier durant la Renaissance.
Homme de tous les suffrages, homme providentiel, homme de l’union, homme de tous, il est aussi celui des artistes qui aident à légitimer sa prétendue aura. La Corse aura bien le sien avec Napoléon Bonaparte. Paoli en fut un autre, avec pour seule malchance d’avoir été un général dans l’ombre d’un Petit Caporal.

Imagerie d’un révolutionnaire
Bouleversement, une révolution est aussi un retour. L’art n’échappe pas à la règle : fixer l’image du séditieux n’exclut pas les références au passé, tels les bustes de Voltaire, Rousseau ou Diderot par Houdon qui véhiculent, sous couvert de réalisme, une sagesse tout antique. Moins virtuose que le portrait de Napoléon par Canova, le buste sur piédouche de Paoli par Sicurani dresse l’image solennelle d’un lettré versé dans la stratégie militaire.
De son côté, lorsque Benbridge représente en 1769 le général corse durant la bataille de Ponte Novu, il préfère aux effusions de sang la prestance de Paoli dont la préciosité des atours masque le caractère autocratique. Quant à elles, les gravures et les toiles de Varese, Cosway et Rotigliardi plébiscitent le libre-penseur : plus qu’un militaire, l’homme est un guide aux mains aussi vierges d’exactions que le sont de clémence celles de ses partisans. De la sorte, Napoléon montrant un fort à ses officiers, par Schnetz, ne sera que la célébration d’un éclaireur visionnaire qui, lorsqu’il n’est pas préservé du tumulte, se contente tout juste d’ouvrir la voie. Le prix de l’éloquence, en somme.

Figure de l’exil
L’exil de Paoli devait être, sur certains aspects, sa chance puisque, comme Napoléon, il perpétua l’illusion obsédante d’un éventuel retour en terre sainte, d’une histoire non achevée dont il convenait de réclamer post mortem un dénouement apostolique. Le patriotisme d’un Paoli bafoué suffisait ainsi à nourrir des ambitions indépendantistes.
L’exil, tel un exode, permettait de diffuser idées et idéaux. Le leader corse faisait de son bannissement un étendard. Aussi sont-ce les artistes étrangers qui livrèrent de lui les images et commentaires les plus pénétrants, depuis Goethe, Defoe ou Burke jusqu’à ses effigies par Flaxman ou Lawrence dont il est permis de regretter la cruelle absence dans l’exposition.
Et si la France lui refuse le droit de cité, d’autres pays s’emparent de cet emblème de l’émancipation. Westminster Abbey conserve son souvenir au travers d’une plaque commémorative tandis que son buste trône encore dans la maison de Jefferson. En 1768, alors que les troupes françaises livrent combat à Paoli, le New York Journal le désigne comme « le plus grand homme de la terre ». Il s’en fallut de peu pour que la mythologie ne fonctionnât et que Paoli n’entrât au Panthéon des grands hommes. Un compatriote l’en empêcha. Depuis les Invalides...

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Pasquale de’Paoli, la Corse au cœur de l’Europe des Lumières », jusqu’au 20 avril 2008. Commissaire”‰: Luigi Mascilli Migliorini. Musée de la Corse, musée régional d’Anthropologie, La Citadelle, Corte (20). Ouvert du 1er novembre 2007 au 31 mars 2008, tous les jours sauf les dimanches et lundis de 10 h à 16 h 45 et à partir du 1er avril 2008, tous les jours sauf les lundis de 10 h à 17 h 45. Tarifs : 5,30 € et 3 €. Tél. 04”‰95”‰45”‰25”‰45, www.musee-corse.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°596 du 1 novembre 2007, avec le titre suivant : Mythologies du retour d’un enfant prodigue

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque