Art moderne

Jean Carriès sort de l’ombre

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 2 novembre 2007 - 324 mots

PARIS

Quel est donc cet artiste frondeur qui, dans le tableau de Louise Breslau, nous dévisage depuis son capharnaüm ? Pour quelle nouvelle dissection tient-il, sûr de son geste, le scalpel à la main ?

Arpenteur de la solitude et hanté par des rêveries fantastiques, Jean Carriès (1855-1894) demeura longtemps plongé, en dépit de l’amplitude de sa renommée au tournant du siècle, dans un règne qu’il avait tant interrogé : l’ombre. Fort d’une spectaculaire collection de sculptures de Carriès, le Petit Palais l’en extirpe pour exposer l’une des plus singulières créations « fin de siècle ».

La fulgurance de la trajectoire de Carriès impliquait une précocité. À vingt ans, il expose au Salon de 1875 et garantit rapidement à ses portraits une fortune critique considérable. Mais sous l’académisme apparent sourdent des innovations formelles qui culminent avec la tête décapitée de Charles Ier en 1881 et ses bustes de Déshérités. La douleur ou l’indigence s’incarnent dans la torsion des traits ou des poses distordues et symbolistes. Plâtres, cires et bronzes deviennent les matériaux privilégiés où s’impriment ces visages inquiets, inquiétés et inquiétants. Nul repos intérieur dans le monde selon Carriès.

Bientôt, le rire devient un rictus, la moue une grimace et la physionomie une physiognomonie. Faunes, grenouilles aux oreilles de lapin, monstres informes peuplent désormais une création en grès émaillé qui doit à la découverte en 1878 de l’art japonais. Carriès y puise les ressources pour exhumer un Moyen Âge gothique infléchi vers une modernité qui l’apparente à l’Art nouveau en vertu de ses procédés techniques et de sa fantaisie formelle. Chef-d’œuvre inachevé et pour l’exposition reconstitué, sa Porte de Parsifal (1890-1894) aurait dû ouvrir sur un sanctuaire conservant le manuscrit homonyme de Wagner : rarement prélude sculpté, « raffiné et barbare », composa un écrin aussi saisissant, véritable perle au collier bigarré de la « modernité »...

« La Matière de l’étrange, Jean Carriès (1855-1894) », Petit Palais, avenue Winston Churchill, Paris VIIIe, tél. 01 44 51 19 31, www.petitpalais.paris.fr, jusqu’au 27 janvier 2008.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°596 du 1 novembre 2007, avec le titre suivant : Jean Carriès sort de l’ombre

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