Gustave Courbet face à lui-même

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 2 novembre 2007 - 530 mots

Genre à part entière depuis celui peint par Dürer au XVe siècle, l’autoportrait a acquis ses lettres de noblesse auprès de peintres rompus à l’exercice, dont Rembrandt, Van Gogh et... Courbet.

Pendant longtemps, tout un pan de l’œuvre de Courbet est resté peu considéré par les historiens d’art : celui de ses autoportraits. La plupart ayant été exécutés lors de ses années d’apprentissage, ils furent souvent considérés comme de simples manifestations d’un narcissisme juvénile. En réunissant la plupart d’entre eux, cette nouvelle exposition démontre que ces tableaux en révèlent davantage sur le peintre qu’il n’y paraît.

En premier lieu, ces toiles témoignent des recherches stylistiques du jeune peintre, qui butine à différentes sources d’inspiration. L’un des premiers autoportraits, L’Homme à la ceinture de cuir (vers 1845-1846, Paris, musée d’Orsay), s’inspire ainsi directement, dans la posture et les tonalités de couleurs, du célèbre Homme au gant, de Titien (1488/89-1576), que Courbet copia avec application au Louvre tout en qualifiant le peintre de « filou ».

D’autres autoportraits lui donnent l’occasion de prendre la pose. Il s’alanguit ainsi dans La Sieste (1841-1842, collection particulière) ou se travestit en revêtant des vêtements à la mode médiévale (Le Sculpteur, 1845, collection particulière ; Le Guitarrero, 1845, collection particulière).Au total, entre 1842 et 1855, Courbet réalise une vingtaine d’autoportraits qui, par leur qualité introspective, permettent d’approcher au plus près sa personnalité.

Pourtant, dans ce lot, il en est un qui fut toujours considéré comme une œuvre majeure : Le Désespéré (1843-1845, collection particulière, voir page précédente). Avec son cadrage resserré sur un visage tourmenté, au paroxysme de la crise, ce tableau narcissique et ô combien mystérieux accompagnera l’artiste jusqu’à la fin de sa vie, accroché dans le modeste atelier du peintre, tout comme L’Homme blessé (1844-1854, musée d’Orsay), lors de son exil à la Tour-de-Peilz (Suisse).

Rongé par la tristesse
En apparence sûr de lui, Courbet était aussi un être mélancolique en proie au vertige et au désenchantement. En 1854, il écrit à son mécène Alfred Bruyas : « Avec ce masque riant que vous me connaissez, je cache à l’intérieur le chagrin, l’amertume, et une tristesse qui s’attache au cœur comme un vampire. »

À cet ensemble de tableaux peut également être rattaché le monumental Atelier du peintre, sous-titré Allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique (1855, musée d’Orsay), qualifié par le peintre d’« histoire morale et physique » de son atelier. « Courbet n’a au fond jamais renoncé à l’autoportrait, sa propre présence s’incarnant dans le moindre recoin de ses meilleures toiles» , écrit Dominique de Font-Réaulx dans le catalogue de l’exposition. « Présent dans sa peinture de paysage, comme dans le corps des femmes qu’il célébra de concert, il fut aussi le chasseur et la proie animant une conception très personnelle de la vénerie, comme il fut enfin la truite qui agonisait alors que l’homme et le peintre tentaient de survivre après la Commune. »

Entre 1872 et 1873, le peintre compose en effet trois images de truites, étudiées au retour d’une partie de pêche, qui ont la force des chefs-d’œuvre. La touche joue avec subtilité des différentes textures des écailles, alors que le cadrage, très resserré, confère de l’héroïsme à ce poisson encore gorgé de vie et pourtant déjà à l’agonie.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°596 du 1 novembre 2007, avec le titre suivant : Gustave Courbet face à lui-même

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