Art chair

Harry Napper, entre art et artisanat

L'ŒIL

Le 1 mars 2004 - 422 mots

En 1852, William Morris et Edward Burne-Jones, deux étudiants d’Oxford qui avaient décidé d’abandonner leurs études pour s’adonner, l’un à la peinture, l’autre à l’architecture, s’installent à Londres dans un atelier commun. Comment le meubler ? Ils dessinent des tables et des chaises inspirées par un Moyen Âge imaginaire et la simplicité de la vie campagnarde. Entre Aesthetic Movement et Arts & Crafts, art et artisanat, ce hiératisme des chevaliers de la table ronde destiné aux cottages distingués fera des émules chez des créateurs aussi variés qu’Edward Godwin, Charles Francis Annesley Voysey ou Charles Rennie Mackintosh dont le stand « franciscain » séduira Joseph Hoffmann et les Viennois de la Sécession de 1900. Planches et tasseaux, courbes simples, dans le domaine de la chaise d’art (« Art chair ») deux tendances se font jour, le massif et l’aérien. La première aboutit à ces trônes bas, semi-circulaires commercialisés par Liberty & Co dans sa Tudor Shop de Great Marlborough Street. La seconde, qui donne naissance aux modèles les plus quintessenciés de Mackintosh, est l’objet de mille variations dont celle-ci due à Harry Napper, un designer Arts & Crafts connu pour ses dessins de textiles, également commercialisée par Liberty & Co. Plus soucieux de promouvoir son nom et sa marque, Arthur Lasenby Liberty avouait rarement les
auteurs de ses modèles. Raison qui a longtemps laissé dans l’ombre la présence de collaborateurs aussi célèbres aujourd’hui qu’Archibald Knox dans le domaine du métal.
La chaise de Napper, comme celle de Mackintosh pour la chambre à coucher de Hill House à Glasgow, rééditée par Cassina, est moins destinée à l’usage qu’à la vue. À la fois naïve et hiératique, elle semble sortie d’un conte pour enfant sage, illustré par Walter Crane ou Kate Greenaway. L’accoudoir réduit à un simple coude, les montants du dossier fins comme les cordes d’une lyre,
les pieds comme des virgules, elle est pur dessin. Diaphane, elle se suffit à elle-même, c’est un signe.
Dégagée sur un fond clair, placée à l’endroit stratégique, sculpture, elle joue son rôle, dans l’harmonie générale d’une chambre. Préservée, libre de toute corvée utilitaire, elle condescend parfois à recevoir, le temps d’un cinq à sept, le poids léger et la couleur vive d’un chemisier ou d’une cravate signés Paul Smith. Dialoguant, dans la nouvelle galerie de Frank Laigneau, avec un plâtre de Carriès, deux fauteuils Art déco « yougoslaves », deux fusains prolétariens de Léon Frédéric, un jardin féérique peint par Edgard Maxence, cette chaise est représentative de la poésie de l’étrange cultivée par le maître des lieux.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°556 du 1 mars 2004, avec le titre suivant : Art chair

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