Le kitsch, cher et tendance

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 mars 2004 - 759 mots

La curiosité et le kitsch se sont infiltrés dans tous les pans de la création et de la décoration. Du baroque au mauvais goût, voire au goût cheap, l’insolite s’est mué en art du bonheur. Ou de la folie.
Quel est le point commun entre le marin alangui de Pierre et Gilles, l’univers aquatique et consumériste des duettistes russes Vladimir Dubossarsky et Alexandre Vinogradof, les céramiques de Jeff Koons ou encore le feu d’artifice de l’avant-garde chinoise ? Tous travaillent sur les matériaux,
le savoir-faire et les images issues de la culture populaire. En d’autres termes, ils flirtent avec le kitsch.
Le gros mot, qui fait hurler les galeristes, est lâché. Après un long purgatoire, ce système esthétique de communication de masse, théorisé par Abraham Moles, est aujourd’hui en odeur de sainteté. Mieux, au goût du jour. Si les artistes français peinent à s’insinuer dans les catalogues de ventes d’art contemporain à New York, le tandem Pierre et Gilles observe une hausse d’intérêt. Une photo de Pierre et Gilles, La Madone au cœur blessé, alias la chanteuse Lio, s’est adjugée 170 000 dollars chez Phillips en novembre 2003. De même les Russes Dubossarsky et Vinogradof ont réussi à imposer leur univers léché à la Biennale de Venise et dans les collections de Beaubourg. Leurs œuvres se vendent entre 15 000 et 45 000 euros. Les œuvres d’inspiration kitsch coûtent parfois terriblement cher. Le coup de force relève de Jeff Koons qui, héritier roublard d’Andy Warhol, a su déchaîner les passions les plus échevelées. En témoignent Michael Jackson et Bubbles, une céramique de Jeff Koons adjugée 5,1 millions de dollars en mai chez Sotheby’s ou celle du Pink Panther, gratifiée d’1,6 million de dollars chez Christie’s en 1999 !
Dans des strates différentes, le kitsch participe d’un retour aux ornements inutiles et à la culture
de supérette. En 1995, l’étude de Nogent-sur-Marne Berlinghi-Lucien avait orchestré une vente « kitsch » dans un climat champêtre. L’ambiance musicale était assurée par les ritournelles de Chantal Goya ! Un événement modeste mais fortement médiatisé. Au détour d’un bataillon de nains de jardin, une Bécassine en pomme de pin s’est adjugée à 4 500 francs.
« Ce qu’on voit chez les gens est de plus en plus immonde, quelle que soit la couche sociale. On voit du kitsch même chez les grands collectionneurs. On voit beaucoup d’art ménager, ce qui doit être perçu comme un des progrès de notre civilisation. Je me demande ce que je vendrai dans dix ou quinze ans », s’interroge le commissaire-priseur Christophe Lucien.
S’il a trouvé dans l’art contemporain, populaire ou ménager un terreau propice à son expression, le kitsch tend à sourdre aussi dans le monde antiquaire.
Il revêt les atours policés de la « curiosité ». Abraham Moles relève un kitsch « historique », déni total du fonctionnalisme. Le théoricien fait de Louis II de Bavière l’emblème du roi-kitsch, adepte d’une surcharge d’ornements destinée à provoquer un plaisir fugace.
Le kitsch trouve d’ailleurs une vraie consistance au XIXe siècle. En novembre dernier, Christie’s Londres adjugeait à 8 544 euros un siège de grotte vénitien du XIXe siècle, dont l’assise épousait la forme d’une moule. Certains sièges en forme de coquillage se trouvent sur le marché britannique autour de 15 000 euros. Les sièges de rendez-vous de chasse combinant les bois de cerf ou d’élan sont en vogue.
On les croise parfois en ventes publiques autour de 1 500 euros.
Rendez-vous des décorateurs internationaux et des créateurs en quête d’insolite, la galerie Epoca est d’une inquiétante étrangeté.
Elle brasse des objets cocasses du confident Napoléon III, revu et corrigé par un créateur contemporain au lustre en coquillage. « Ce qui m’intéresse dans les créations d’atmosphère, c’est de proposer côte à côté des objets, meubles ou peintures que tout semble opposer, comme un bronze femme-girafe de Dali et une maquette indienne en bois du xviie. Ce sont les objets qui me choisissent, sans aucun critère de goût, de “bon goût”, aucune référence à l’histoire, à l’époque, à
la soi-disant qualité, à la forme, à la couleur, à l’usage, ne rentre en jeu, ou, précisément, tous à la fois, c’est une alchimie très subtile qui naît en un éclair, qui fait que c’est lui. Il faut, bien sûr, qu’il soit singulier, étrange, mystérieux, pas immédiatement identifiable… qu’il fasse rêver et qu’il me fasse sourire, qu’il émane de lui un humour souvent caché », explique la maîtresse des lieux Mony Linz-Einstein.
Un art du bonheur hors norme !

Galerie Epoca, 60 rue de Verneuil, Paris VIIe, tél. 01 45 48 48 66.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°556 du 1 mars 2004, avec le titre suivant : Le kitsch, cher et tendance

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