François Marie Anthonioz, une victoire sur le chaos

L'ŒIL

Le 1 mars 2004 - 608 mots

« Trouver la place des choses, mettre les choses à leur place. » Ainsi François Marie Anthonioz parle du tableau. Ainsi, on prend toute la mesure de ce que veut dire « regarder ».

Pour ceux qui suivent l’itinéraire créateur de ce peintre de pure eau, qui n’appartient à aucune « école », mais qui continue imperturbablement à traduire en lignes couleurs ce que lui dicte sa « nécessité intérieure », cette figuration peut étonner à un premier regard superficiel, car elle paraît trancher sur les créations non-figuratives ou les assemblages abstraits de matériaux des années 1990. En effet, ici nous nous trouvons face à des apparitions de personnages, à un défilé de figures énigmatiques et
intemporelles. Mais si l’on se souvient des paysages abstraits d’Anthonioz, de ses végétations picturales où la couleur pousse sur la surface picturale comme les fleurs des champs, on remarquera que dans plusieurs de ces œuvres se profilait déjà un filigrane de figures qui se fondaient dans un mouvement coloré.
Depuis quatre ans déjà, le filigrane est venu à la visibilité et aujourd’hui, dans ses nouvelles œuvres, Anthonioz franchit avec détermination un nouveau pas et affirme avec force une réalité qui nous interpelle par sa beauté hiératique, et aussi par les multiples possibilités herméneutiques de son décryptage. Ici on prend toute la mesure de ce que veut dire « regarder ».
Les œuvres d’Anthonioz exigent un regard. Là est leur consonance avec l’art de l’icône. Mais on peut regarder sans voir. Sans voir que le tableau regarde. Ici encore l’icône est convoquée. Mais aussi Piero della Francesca, qui fut le grand choc pour Anthonioz quand il avait seize ans. L’icône, Piero della Francesca ! Quels ancêtres dans la mémoire plastique ! On comprend mieux alors que dans les théories figurales d’Anthonioz il n’y ait aucun psychologisme, il n’y ait pas d’ombres, comme dans les icônes. C’est la clarté qui les baigne.
L’artiste le répète, il y a chez lui « un besoin physique d’être dans la couleur » : « Je prends de la couleur dans la main et je dresse un paysage pictural. »
Il n’y a pas de contours dans les figures d’Anthonioz, il n’y a aucun désir graphique, les lignes sont « les traces d’une construction ». C’est la couleur qui opère les découpages, les délinéaments : les couleurs sont comme des ciseaux. Et l’on sent toutes les affinités de cette démarche avec celle de Matisse. Dans les séries récentes, c’est toujours le papier qui est le support. Sur lui, le dessin peut mieux faire partie de l’essence de la couleur. Anthonioz travaille dans l’humidité de la détrempe avec de la craie d’aquarelle. Le pinceau peut être délaissé au profit de la craie qui, tenue dans la main, est une morsure colorée, directement enfoncée – sans intermédiaire – parfois rehaussée à l’encre de Chine.
Il n’y a pas à proprement parler de représentation dans le défilé des personnages d’Anthonioz mais une présentation avec apparition de la figure en tant que moyen d’expression picturale et non pas de narration.
Anthonioz cite une phrase de Julien Gracq : « le droit de se répéter sans jamais se ressembler. » Le peintre arrête son tableau quand celui-ci commence à ressembler à l’exigence initiale. C’est toujours une victoire sur le chaos. Un désir. Le désir d’être là, d’être présent, de faire venir à la présence, de s’emparer de la couleur ou de se laisser emparer par elle. La venue au jour du visible. Le cheminement de l’inconnu vers le connu. Et au bout – une clairière. La clairière de François Marie Anthonioz.

Les œuvres de François Marie Anthonioz sont présentées à la galerie Pierre Brullé.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°556 du 1 mars 2004, avec le titre suivant : François Marie Anthonioz, une victoire sur le chaos

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