Laon : décentralisation ou recentralisation ?

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 1 mars 2004 - 824 mots

Dans le rapport sur la décentralisation du patrimoine remis au ministre de la Culture en novembre dernier, il est un vœu émis par la commission présidée par René Rémond auquel les Laonnois ne sont pas restés indifférents. En conclusion de son rapport, l’historien préconisait en effet un « mouvement symétrique » pour parachever « la remise en ordre », qui permettrait la réintégration de monuments insignes dans le giron de l’État, citant expressément le cas de Laon, dont l’ancienne cathédrale – chef-d’œuvre du premier art gothique – déclassée à la Révolution au profit de Soissons, appartient par conséquent à la ville (1). Car à l’heure où s’annonce une décentralisation qui permettrait à l’État de s’alléger des coûts d’entretien du patrimoine national, la petite préfecture de l’Aisne connaît depuis longtemps les affres de l’entretien d’un patrimoine trop grand pour elle.
Située à 140 kilomètres de Paris, la ville picarde, ancienne résidence royale carolingienne, est construite sur un site exceptionnel, promontoire naturel en forme de fer à cheval qui domine la plaine champenoise. Encore protégée par ses remparts médiévaux, la ville haute a été miraculeusement épargnée des guerres qui ont meurtri la région (le chemin des Dames est à quelques kilomètres), constituant le plus vaste secteur sauvegardé de France d’un seul tenant avec ses 370 hectares et ses quelque quatre-vingts monuments classés ou inscrits… Mais au-delà des chiffres, le constat est alarmant, nombre de ces édifices nécessitant d’importants travaux. Ainsi de l’ancienne cathédrale Notre-Dame, contemporaine de son homonyme parisienne, qui n’a pas été restaurée depuis plus de cent ans (une première tranche devrait être lancée en 2004), dont les couvertures sont à bout de souffle et dont la façade se délite lentement. L’ancien palais de l’évêque, devenu palais de justice au XIXe siècle, attend lui aussi son heure, des travaux d’urgence ayant abouti à la mise en place de couvertures « provisoires » de tôles ondulées d’une étrange couleur rouge, préfiguration du remplacement de l’ardoise par des tuileaux qui auraient existé sur le bâtiment jusqu’au XVIe siècle, selon Thierry Algrin, architecte en chef des Monuments historiques. Mais la chancellerie hésite encore à s’engager dans des travaux de restauration (une construction neuve coûterait 40 % de moins). Derrière le palais, l’ancien séminaire se dégrade lentement depuis son abandon par le conservatoire. Plus loin, c’est la chapelle des Templiers qui réclame des travaux d’urgence, qui ne sont pourtant pas envisagés par la Drac avant 2007 ! Les murs de ce petit édifice roman de plan centré, inspiré du Saint-Sépulcre de Jérusalem, pourront donc encore être rongés pendant quelques années par l’algue verte qui les a envahis. Et que dire encore de l’état des maçonneries de l’ancienne abbatiale Saint-Rémi, altérées par l’humidité ?
C’est une conjonction d’éléments qui semble expliquer cette situation. D’une part, la municipalité dispose d’une faible capacité financière (elle compte moins de 27 000 âmes et son activité, essentiellement administrative, génère peu de ressources fiscales), et son budget est en partie grevé par l’entretien du site, construit sur des terrains calcaires et argileux creusés de trois niveaux de souterrains dans lesquels les eaux usagées ont longtemps été déversées. Autre explication : le départ de l’armée qui occupait et entretenait des bâtiments à ses frais, notamment l’ancienne abbaye bénédictine Saint-Vincent et ses sept hectares de terrain. Inoccupé depuis 1993, le bâtiment du XVIIIe siècle se dégrade lentement dans l’attente d’un acheteur, probablement échaudé par l’annulation pour vice de forme de la procédure administrative qui conditionne toute possibilité de réaffectation. « L’argent n’est pas la seule explication, déplore Marie-Madeleine Nouvian, présidente de l’association de défense du patrimoine Les Amis du Laonnois, il s’agit aussi d’une question de priorité. » Lors d’un récent débat public, Philippe Charron, l’architecte des Bâtiments de France, rappelait ainsi que le coût d’entretien de l’ensemble du patrimoine départemental équivalait à la construction de deux ronds-points de supermarché (2)...
Velléités municipales, querelles politiques (le dossier du palais de justice achoppe sur une question de répartition des charges entre la municipalité et le Conseil général) sont autant de forces d’inertie. À Laon, on s’affaire donc pour trouver des solutions, qui passeraient notamment par une meilleure attractivité touristique. Il est ainsi question d’une candidature au patrimoine mondial de l’Unesco (pourtant non lucrative), à l’exemple de Provins, la « concurrente » francilienne inscrite en 2001. Pour sa part, Marie-Madeleine Nouvian préfère rester pragmatique. « L’idéal pour sauver un bâtiment est de lui trouver une affectation, et pour cela il faut avoir de l’imagination… » Et de se résigner à voir l’ancien couvent des Dames de la Congrégation du XVIIe siècle « saucissonné » en logements par un promoteur, plutôt que démoli. À la veille de la « grande braderie du patrimoine », le cas de Laon et les espoirs suscités par la proposition de « recentraliser » son ancienne cathédrale est à méditer.

1 Ce rapport est consultable sur le site du ministère de la Culture, www.culture.gouv.fr  
2 Propos rapportés par le journal L’Union du 16 décembre 2003.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°556 du 1 mars 2004, avec le titre suivant : Laon : décentralisation ou recentralisation ?

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