Artisanat d'art

Céramiste du XXe siècle

Philippe Godderidge, action / réflexion

Par Frédéric Bodet · L'ŒIL

Le 1 avril 2004 - 521 mots

Philippe Godderidge (1955), né en banlieue parisienne, a choisi de devenir « un homme de la terre » : il s’est installé en Normandie à Torteval, entre Bayeux et Caen, et, vivant de son exploitation, il a initié avec cette terre du Bessin un travail artistique qui interroge les outils, les gestes et les symboles de la ruralité.

Le commentaire écrit passionnant que Philippe Godderidge fait de sa pratique quotidienne de la céramique, élaboré comme une prise de position interactive avec le lecteur, l’amène à réfléchir à la place toujours plus inconfortable mais « résistante » de l’objet manuel dans nos sociétés postindustrielles. Il y décrit sa manière peu conventionnelle de se confronter physiquement à la matière : ramasser terres et sédiments, herbes et cendres, malaxer et domestiquer des masses de boue et de torchis avec toute la force liée à la pulsion exigeante de créer, laisser la terre presque crue ou la cuire avec des moyens parfois archaïques, s’intéresser ensuite à la relation que les objets créés suscitent entre eux dans l’espace, gouverné par l’idée que « les partis pris dans la pose, et le choix des outils, resteront toujours plus importants que la recette elle-même ». En 1998, à la villa Aurélienne de Fréjus, il présentait un ensemble de Houes, lourdes tables d’argile traversées d’un manche de bois, qui contrastaient étrangement avec les boiseries « élégantes » du lieu. Bâtons fouisseurs, plantoirs, houes et pelles, barattes, silos, pots et bols « complémentaires de notre anatomie », constituent au fil des années autant de références aux outils agricoles et aux formulations primaires de la main humaine, pour nous aider à repenser notre relation distendue à la nature. De même, ses invitations régulières et amicales à partager une masse d’argile pour une création-performance à quatre mains (« Les intangibles coïncidences ») prônent un rapprochement et un lien passionnel à la terre dans le contexte isolé – et aussi très individualiste – de la céramique française. On ne devrait plus, selon lui, rechercher une lecture de la technique trop évidente en céramique. Revendiquant les technologies « pauvres » et la pratique in situ, Philippe Godderidge s’acharne à brouiller les pistes en mixant des traditions ancestrales opposées – par exemple une cuisson raku japonaise avec trois couleurs d’émaux (vert, jaune, rouge) utilisés habituellement pour les terres vernissées méditerranéennes – dans une volonté de déséquilibre et de curiosité permanente : « Laissons aux industriels le soin de faire des pièces qui passeront leur vie, élégantes, sur le haut du buffet, images de modes insouciantes nous laissant croire que le monde est beau, et occupons-nous d’en faire qui ne seraient que cris, inscription de nos peurs et de nos colères. Tournons, modelons, fabriquons des pots mal polis, des “gros pots”, écorces de trous aux obscènes tourbillons obligeant le regard à en scruter le fond, des pots manifestes, vivants et sales, pour surtout ne jamais s’arrêter et tous les matins retourner à l’atelier comme un obligatoire réflexe. »

Les pièces récentes de Philippe Godderidge sont présentées à la galerie Pierre, PARIS, 22 rue Debelleyme, IIIe, tél. 01 42 72 20 24. À voir aussi : www.philippegodderidge.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°557 du 1 avril 2004, avec le titre suivant : Philippe Godderidge, action / réflexion

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